Miss Islande : le roman éruptif d’Auður Ava Ólafsdóttir ne laisse pas de glace

Pour son dernier livre, Auður Ava Ólafsdóttir a fait le choix d’un titre aussi trompeur qu’explicite : Miss Islande pour lequel elle a reçu le prix Médicis étranger. Nous avions découvert en 2010 son don à chaque fois de sublimer le quotidien, de le rendre merveilleux, d’apporter de la simplicité au compliqué avec Rosa candida.

Auður Ava Ólafsdóttir
Crédits : Saga Sig

Nous sommes en Islande, dans les années 60. Une jeune fille nommée par son père Hekla décide de quitter la ferme de ses parents et de partir pour Reykjavík avec une valise. Elle a 21 ans et sait ce qui l’attend, son destin ne sera pas facile à accomplir mais l’énergie créatrice va l’y pousser : un prénom emprunté à un volcan, ça se mérite.

Arrivée à la capitale, certains la verraient plutôt briguer le titre de Miss Islande. Elle retrouve deux amis d’enfance : Ísey et Jón John. Elle écoute la première s’ennuyer dans son foyer avec enfant et mari. Le second, la soutient, il rêve de stylisme entre deux embarquements sur des navires de pêche… Elle va rencontrer un jeune homme qui fait partie d’un cercle d’écrivains masculins et embauche en tant que serveuse se devant d’être aux petits soins pour des clients exigeants. Quand elle ne travaille pas, Helka tape sur sa machine à écrire, envoie des manuscrits qu’elle signe sous un pseudonyme. Elle a beaucoup à faire car autour d’elle, c’est un monde d’hommes qui n’envisagent pas qu’une femme puisse avoir du talent.

« J’ai eu envie de mettre en parallèle ce qui se passait, […] avec les événements qui se passaient dans le monde […] J’ai voulu pousser plus loin l’idée de l’île jusqu’à celle du repli sur soi. » –  Auður Ava Ólafsdóttir

miss islande - zulmaL’Islande, peu connue du monde à cette époque, est patriarcale et conservatrice. Elle vit par procuration ce qui avance ailleurs. Jusqu’alors les Islandais subsistaient grâce au troc de poissons, de peaux, de tricots faits main contre quelques manques primordiaux. Les événements sensationnels ici sont à l’image de la fin novembre 1963 lorsque Surtsey voit le jour au large de la côte, un petit monticule sorti des eaux à la suite d’une éruption volcanique. L’île est isolée, les touristes ne s’y rendent pas encore. La rencontre brutale avec la modernité et la société de consommation va lui sauter au nez. Quelques petits rappels historiques : c’est l’année où la première femme soviétique participe à l’aventure spatiale, celle aussi de la marche des droits civiques marquée par le discours de Martin Luther King. Une époque semble s’éteindre avec la mort de Georges Braque, celle d’Édith Piaf, de Jean Cocteau, d’Aldous Huxley, du président Kennedy assassiné… C’est pourtant le premier pays à élire en 1980, une présidente au suffrage universel et à appliquer un strict programme d’égalité des genres depuis. En 2011, la capitale a été désignée Ville de la Littérature par l’UNESCO.

Et l’auteure de faire parler la jeune Helka : « L’écriture est mon ancrage dans la vie. » Une symbolique forte se dégage de ce roman : une proximité de rapport entre la création artistique et la création de la nature. Et un message l’emporte, celui de ne jamais douter de soi face à des convictions toutes préconçues et des mentalités éprises de conventions. Se réaliser, écouter ce que notre for intérieur demande. Miss Islande est un roman engagé et atypique sur la liberté et l’accomplissement. L’écrivaine explore avec légèreté, douceur et subtilité l’inconstance humaine dans ses écrits. C’est son 6e livre depuis 1998. Ces études l’ont amenée à Paris à découvrir l’œuvre de Marguerite Duras parmi d’autres.

« Lorsque j’ai décidé de devenir écrivain, je me suis lancée relativement tard, comme beaucoup de femmes écrivains. Je me suis posé cette question toute simple : Ai-je quelque chose à dire ? […] Dans mes romans j’ai choisi de donner une voix à ceux qui n’en n’ont pas. » –  Auður Ava Ólafsdóttir

L’Islande est le pays le moins densément peuplé d’Europe occidentale mais celui qui publie le plus de nouveaux titres par habitant au monde. Un Islandais sur dix publie un livre au cours de sa vie et sept sur dix font cadeau d’un livre, souvent au moment de Noël car le prix est élevé. Le rituel du Jólabókaflóð (se prononce yola-boka-flof) ou « déluge des livres » a vu le jour à la fin de la Seconde Guerre mondiale. L’île devenue indépendante, la République connaît des années difficiles. Peu d’importations pour éviter l’endettement des ménages. Quelque chose reste bon marché : le papier. La littérature fait partie intégrante de la vie du pays, c’est une forme d’art à laquelle les habitants s’identifient. La tradition des contes populaires, mythes et légendes est ancrée dans les mentalités. L’histoire de la littérature islandaise débute à l’époque médiévale avec les sagas, poèmes épiques sur l’histoire des vikings. Cette période, qui connaît nombre d’événements héroïques, n’était transmisse alors qu’oralement. La prospérité en majorité pour les agriculteurs et les pêcheurs au douzième siècle enclenche le pas à la forme écrite.

Détour presque évident après cette lecture par le monde poétique et onirique de la chanteuse Björk, de son nom complet Björk Guðmundsdóttir originaire de ce pays. Parmi ses premiers groupes : Tappi Tíkarrass puis The Sugarcubes (1) et  Kukl (2).

Audrey Rousselle

Miss Islande
Roman islandais de Auður Ava Ólafsdóttir
Editeur : Zulma
288 pages –  20.50 €
Date de parution : 5 septembre 2019