Angèle David-Guillou – Sans Mouvement : de l’art du confinement

On est toujours ravi d’avoir des nouvelles musicales d’Angèle David-Guillou alias Klima que l’on a croisé sur les disques de Feu Piano Magic. Avec cet EP Sans Mouvement, elle impose un autre temps, celui d’une vertu à trouver dans l’immobilité d’un corps.

Crédit photo : Gaelle Beri

Quand cette crise du Covid 19 sera enfin derrière nous, il faudra s’interroger sur l’impact qu’elle  a pu avoir sur nos vies par-delà la seule dimension sanitaire. Un événement comme celui-là, quitte à tomber dans le lieu commun, sera de ceux qui font scission dans nos existences, ces avant et ces après. Il aura fallu un virus invisible pour nous imposer à un retour à soi, une confrontation même pourrait-on dire.

Ne dit-on pas que de grands drames naissent également de grandes oeuvres ? Ce genre de situations paroxystiques impose un frein dans nos vies mais aussi une forme de dilatation temporelle. Les minutes deviennent des heures, les heures des jours. Cela pourrait-il être propice à la création ? On sait bien que nombre de grands disques sont nés sous l’Angleterre Thachterienne par exemple, que plus la liberté recule et plus la créativité est stimulée.

Angèle David-Guillou dit tout dans le titre de son nouvel EP, Sans Mouvement comme un écho perturbé à son Mouvements Organiques de 2018 comme s’il fallait entendre que le temps du confinement est celui d’un rapport à l’immobilité, d’une synchronisation du corps à la pensée, d’un accord tacite passé entre le sang qui circule dans nos veines et les angoisses qui font surface parfois à l’arrière de l’oeil. Et si cette absence de mouvement n’était qu’un leurre, qu’une illusion rusée ? Si nos villes désertes étaient habitées par les ombres de nos corps-souvenirs ou reflets ?

Le confinement impose donc un autre rapport au temps, que ce soit pour l’auditeur comme pour le créateur. Là où notre société moderne nous impose une fuite des jours, ces semaines de trouble nous ordonnent à une concentration nouvelle. Un nouvel état, peut-être intermédiaire qui ne rend pas le monde d’avant ni mieux ni pire, le monde d’aujourd’hui et terrifiant et enthousiasmant.

Angèle David-Guillou continue de construire une oeuvre qui va chercher aussi bien dans les pièces pour orgue d’Arvo Pärt, dans les travaux de Peteris Vasks, dans les climats glacés et répétitifs de l’école estonienne.  Le premier mouvement de cet ep, une longue plage de 50 minutes s’installe dans cette dilatation du temps, à coup de minimalisme, de va et viens permanents, comme la vague métronomique qui caresse le sable. Il y a une belle ironie tendre dans le titre de cet Ep, un jeu avec le paradoxe car la musique d’Angèle David-Guillou est à chaque instant mouvante, dans une perpétuation d’un balancement, dans une forme de dérive ou de bercement.

Même si les climats sont crépusculaires, ils sont chargés d’une belle lumière, d’un espoir qui irise l’horizon. Klima joue avec les couleurs piochant dans une palette de gris et de noir des nuances, des mélanges, de subtiles inflexions.  Elle s’amuse des motifs répétitifs à l’image d’un Hans Otte. On pensera parfois à la B.O d’Under The Skin de Mica Levi pour ce même trouble, ces mêmes brumes taiseuses. En travaillant cette notion du Mouvement, Angèle David-Guillou poursuit les mêmes obsessions que Thomas De Hartmann et George Ivanovich Gurdjieff et leur musique du mouvement.

La musique d’Angèle David-Guillou n’est ni vraiment Modern Classique ni vraiment expérimentale. Elle se situe ailleurs dans un rapport étroit à un échange entre notre corps et notre esprit. Elle devient une simple pulsation à l’unisson de notre coeur, un battement sourd dans la poitrine, une métronomie du temps qui défile, une lumière qui vient éclairer le bout d’un tunnel, l’obscurité qui perd du terrain et la ville qui lentement se ranime.

Greg Bod

Angèle David-Guillou – Sans Mouvement
Label : Autoproduction
Sortie le 05 mai 2020