X – ALPHABETLAND : cohérent, déterminé et efficace

Retour inattendu en studio de X, groupe phare du punk rock américain, 30 ans après : ALPHABETLAND fait preuve d’une détermination et d’une cohérence qui fait honneur à ces vétérans. Et qui nous soulève !

X Alphabetland
Photo : Kevin Estrada

Nous étions en 1980, et la vague punk anglaise originelle avait reflué ou s’était muée en new wave beaucoup moins agressive. Aux USA, on peinait à identifier une relève à l’explosion new-yorkaise précoce des Ramones, Talking Heads, Blondie et consorts. Il nous fallut nous tourner, de manière improbable, vers Los Angeles, pour trouver – enfin – un groupe US capable de rivaliser avec nos Clash et nos Sex Pistols. Rivaliser ? Non, mieux, les dépasser ! Car nous faisons partie de ceux, les fous, qui hissent les quatre premiers albums du groupe angeleno, X, tout au sommet de l’histoire du Punk Rock ! Pourquoi ? Parce qu’en plus de l’énergie dévastatrice, de la rage et du désespoir – conjuguée à une merveilleuse énergie vitale -, X avait une profondeur, oui, oui, une intelligence (émotionnelle, et intelligence tout court aussi) peu communes. Avec un couple amoureux aux commandes, les magnétiques Exene Cervenka et John Doe, X nous parlait mieux que quiconque de nos vies, de nos espoirs, de nos déceptions, de nos désirs et de nos jalousies. Et la manière dont les deux voix, masculine et féminine, se mêlaient confinait à la pure magie… Puis, le temps, cruel, fit son office : Exene et Joe divorcèrent, Billy Zoom, leur incroyable lead guitariste rockabilly, quitta le groupe. Mais après quelques années de tentatives country, le groupe originel se reforma, tout au moins pour des tournées régulières qui servaient avant tout à entretenir la nostalgie de cette époque merveilleuse. Jusqu’à aujourd’hui, une trentaine d’années plus tard, et la sortie inattendue de cet ALPHABETLAND qui nous rend, contre toute attente, notre X comme au premier jour, comme nous l’avons toujours aimé !

X AlphabetlandOh oui, le temps a passé, cruel, et la rage et le désespoir d’Exene a d’autres sources, plus tragiques, plus profondes encore. L’album se conclut sur quelques notes de piano jazzy, et la voix déterminée d’Exene, nous offrant un terrible bilan : « We have all the time in the world / Until the limitless possibilities of youthful infinity turn into mortality / But that’s after a long, fun struggle of watching everyone / Not me and not you / Suddenly go pale / Some failed to live up to life / Some trailed behind their own comet tails / Some wailed and cried out to God to no avail / And some got impaled by speeding metal / And infected needles » (All the Time in the World) : « Nous avons tout le temps du monde / Jusqu’à ce que les possibilités illimitées de l’infini juvénile se transforment en mortalité / Mais c’est après une longue et amusante lutte pour regarder tout le monde / Pas moi et pas vous / Tout à coup pâlit / Certains ne sont pas à la hauteur de la vie / Certains traînent derrière leur propre queue de comète / Certains ont pleuré et ont crié à Dieu en vain / Et certains se sont empalés en accélérant le métal / Et des aiguilles infectées ».

Mais cette étrange conclusion est heureusement décalée par rapport à l’esprit de l’album, qui aura quant à lui célébré une fois de plus, la Vie. Et notre capacité, inentamée, à refuser la m… qu’on nous sert chaque jour : à un journaliste américain qui lui demandait « Qu’est-ce que le punk rock », John Doe aurait répondu tout simplement « La Liberté ! ». Et cette liberté arrogante déborde de chacune des chansons alignées ici comme à la parade. « Tearing up the sidewalks / Pouring wet cement / Erasing your initials / Alphabet wrecked / I watched you pour white gasoline / To cover up your scent / Burned your name to cinders / Alphabet wrecked » (ALPHABETLAND) : « Déchirer les trottoirs / Verser du ciment humide / Effacer vos initiales / Alphabet détruit / Je vous ai regardés verser de l’essence / Pour couvrir votre odeur / Brûlé votre nom en cendres / Alphabet détruit… ». ALPHABETLAND est un geste punk, un geste de reprise en main de notre identité et de notre destin. Le fait que, formellement, rien ne semble avoir changé dans la musique de X, puisque toutes les chansons ici pourraient figurer sans déparer dans les trois premiers albums du groupe, n’est pas une preuve de nostalgie mortifère, mais bien un témoignage de la nécessité de reprendre les armes.

ALPHABETLAND n’est sans doute pas un gage de créativité retrouvée du groupe, car il n’atteint pas les 30 minutes – ce qui nous va bien, à nous -, et car plusieurs chansons sont d’anciennes compositions : on connaissait déjà, mais dans des versions inférieures à celles-ci, la furie foudroyante de Delta 88 Nightmare, ainsi que le chaloupé et bouleversant deuil de l’amour qu’est Cyrano de Berger’s Back… Et les plus grincheux pointeront l’absence d’un hit aussi évident que ceux que le groupe produisait sans peine à ses débuts. Ce à quoi, il est facile de rétorquer que peu de groupes sont capables de livrer, quarante ans après leur premier album, un disque aussi cohérent, aussi déterminé et efficace de la première à la dernière note.

« We are dust, it’s true / And to dust we shall return, me and you / But it was fun while it lasted / All the time in the world / Turns out not to be that much… » (Nous sommes de la poussière, c’est vrai / Et à la poussière nous retournerons, moi et toi / Mais c’était amusant tant que ça a duré / Tout le temps du monde… / Il s’avère que ce n’est pas tant que ça… »). Choisissons de retenir le plus important : nous nous sommes tant amusés. Nous nous sommes tant aimés.

Eric Debarnot

X – ALPHABETLAND
Label : Fat Possum Record
Date de parution (digitale) : le 1er mai 2020