[AppleTV+] : Defending Jacob : l’ombre d’un doute

Le catalogue d’AppleTV+ s’enrichit de plus en plus et reste à surveiller de près : la preuve avec ce thriller classe et sombre, d’où émerge de sa facture très classique une étude au scalpel de la filiation et du doute.

Defending Jacob
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Rien de bien neuf a priori dans cette nouvelle fournée de mini-série entre polar et série judiciaire : le quotidien d’une famille aisée et idéale bascule le jour où le fils d’un procureur adjoint de la ville devient le premier suspect du meurtre de son camarade de classe. De fait, le père (Chris Evans, plutôt surprenant de retenue) est forcé de s’éloigner de l’affaire alors qu’il désire à tout prix prouver l’innocence de son descendant. Le problème, c’est que les charges s’accablent sur Jacob, si bien que le doute et la culpabilité rongent progressivement les parents, et notamment sa mère qui sombre vers des sentiments très confus envers son propre enfant… rien de bien neuf, donc, et surtout à cause d’une mise en scène sombre et lente, froide et impeccable, qui rappelle tout du long les réalisations de David Fincher, que ce soit au cinéma comme à la télé. Une ambiance oppressante, à la limite de l’ennui ou du soporifique par moments… et pourtant, on reste accrochés à ce récit de coupable / innocent, encore une fois… pourquoi ?

Plusieurs réponses à cela : d’abord, le récit reste étiré et ténu jusqu’à la toute fin, en disséminant détails et légers revirements qui font que jamais rien ne semble laissé au hasard ou empilé pour faire durer, et si quelques détours semblent ne pas aller jusqu’au bout du propos, l’ensemble demeure cohérent et haletant. Ensuite, le propos est évidemment au-delà du simple récit judiciaire, et évoque d’emblée la difficile question que tout parent pourrait avoir à se poser : jusqu’où peut-on défendre son enfant, l’aimer à tout prix, même s’il peut s’avérer être un assassin ou un monstre ? Au cours des épisodes, les passés tumultueux s’enchaînent, les raisons de croire en la culpabilité de Jacob s’alourdissent, et les états d’âmes d’une famille emportée dans cette tempête médiatique et policière se fissurent ou éclatent… questions existentielles largement soulevées, triturées par un scénario qui ne ménage pas ses personnages, « fondus » pourtant dans une réalisation maniérée. Du chic visuel pour du fouillis psychologique bien sombre. En cela, Defending Jacob reste souvent passionnant. Et pour Michelle Dockery, qu’on a adoré dans Downton Abbey, un difficile pari d’incarner une maman en proie à bien des tourments sans pour autant paraître déstabilisée. Son jeu paraît parfois forcé, mais elle s’en sort avec les honneurs.

Enfin, la série, dans sa conclusion qu’on ne dévoilera évidemment pas, a la bon ton de dévier son propos initial et d’offrir au spectateur un vaste jeu visuel de vacillement et de trouble, si bien qu’au plaisir de se fendre de révélations souhaitées, les auteurs de la série préfèrent au contraire élargir le concept du doute et de la culpabilité. Et proposer un ultime épisode inattendu, inconfortable (différent donc des autres épisodes jugés conventionnels) qui rebat un peu les cartes et brouille notre radar de consommateurs impassibles de séries policières. Grande qualité donc, qui vient légèrement dissiper in fine l’impression de déjà-vu classique et classe de ce Defending Jacob.

Jean-françois Lahorgue

Defending Jacob, série américaine de Mark Bomback
Avec Chris Evans, Michelle Dockery, Jaeden Martell
Genre : policier, thriller
8 épisodes de 55 mn environ
Diffusion : Apple TV+ – avril 2020