[Ciné classique] La fureur de vivre – Nicholas Ray pionnier du teen movie

Juste avant la réouverture tant attendue des salles obscures, retour vers le passé à travers un coup de projecteur en trois axes sur La Fureur de vivre, pour redécouvrir ce film culte qui met si bien en lumières les maux de la jeunesse.

James Dean dans La Fureur de vivre

Biographie :

Ce «cinéaste de la fêlure», rebelle, s’éteint le 16 juin 1979 à New-York, alors que le cinéaste allemand Wim Wenders tourne depuis quelques mois Nick’s Movie (1980), documentaire poignant sur les derniers jours de vie de son ami américain. Né au cœur de l’été, le 7 août 1911 à Galesville (Wisconsin), Nicholas Ray est le cadet d’une fratrie de quatre enfants, maman artiste, père luthérien, alcoolique et violent. L’adolescent aime se réfugier dans l’imaginaire. Ses études l’entraînent à l’université de Chicago, mais il abandonne en 1932 avant de migrer vers New-York où il intègre la troupe Theater of Action, spécialisée dans l’improvisation. Il y rencontre le cinéaste et producteur Elia Kazan, dont il devient l’assistant pour Le Lys de Brooklyn (1945). L’année suivante, l’auteur tente une expérience radiophonique à Broadway, avant de passer derrière la caméra en 1947 pour un tournage chaotique d’un couple en cavale : Les amants de la nuit, long métrage brillant qui ne sortira que deux ans plus tard, quelques mois après son deuxième projet, Secret de femme (1949). Le cinéaste poursuit avec l’intense Le violent (1950), interprété par Humphrey Bogart. Dès lors, le cinéaste enchaîne les réussites admirables : Les indomptables (1952), Johnny Guitare (1954), A l’ombre des potences (1955) et La Fureur de vivre (1956). Il réinvente son cinéma avec l’expérimental Derrière le miroir (1956), puis La forêt interdite (1958) et Traquenard (1958). Malgré ses relations tendues avec des producteurs qui supportent mal son état d’esprit indépendant, Nicholas Ray se voit confier deux superproductions : l’une biblique, Le Roi des rois (1961), et la suivante historique, Les 55 jours de Pékin (1963). Sur ce dernier tournage, une crise cardiaque l’oblige à se retirer des plateaux. Début 70, il accepte d’enseigner à l’université de Binghamton (New-York) et propose à ses étudiants un projet cinématographique intitulé We Can’t Go Home Again. Lui qui se sentait « un étranger ici-bas » leur répète : «Le héros doit être aussi paumé que vous et moi». Le cinéaste «de l’urgence», très fatigué, joue dans L’Ami américain (1978) de Wim Wenders, puis dans la comédie musicale Hair (1979) signée Milos Forman, avant que le cancer ne l’emporte. Son œuvre considérable est le reflet d’époques en proie aux doutes.

Contexte :

Au début des années cinquante, les Etats-Unis sont dominés par la peur d’une escalade nucléaire, et ébranlés de l’intérieur par le refus de la ségrégation raciale. Mais une croissance économique exceptionnelle incite chacun à la consommation d’équipements électroménagers ou de téléviseurs, lesquels prennent place dans les salons des pavillons de banlieue de la « middle class » américaine. De leur côté, cédant à la facilité, les médias surenchérissent des faits de délinquance juvénile. Le cinéma s’empare de ce malaise avec L’équipée sauvage, de Benedek, puis The Blackboard Jungle (1955) signé Brooks. Warner achète les droits du roman Rebel without a cause, publié en 1944 par un psychiatre, et en confie le projet d’adaptation à Nicholas Ray qui choisit James Dean sur les conseils de Elia Kazan. Le tournage dure 47 jours. Le 30 septembre 1955, le jeune acteur principal se tue prématurément à bord de sa funeste Porsche 550 Spyder. A peine un mois plus tard, La Fureur de vivre sort sur les écrans. Le mythe prend place.

Désir de voir :

«C’est par ce que nous dévoilons de nous-mêmes que nous survivons». Ainsi se décline ce film pionnier du «teen movie», miroir d’une jeunesse fragile où éclatent la douleur et les troubles existentiels. Instabilité proposée dès le premier plan : une caméra désaxée montre un jeune homme tituber, s’écrouler au sol, s’amuser avec un jouet et se mettre en position de fœtus alors qu’une sirène de police retentit. La narration directe et linéaire de ce drame se retrouve condensée sur vingt-quatre heures ; il s’agit là d’un des premiers films décliné en Cinémascope, procédé permettant la compression de l’image puis l’étirement lors de la projection afin de proposer un véritable format panoramique. Cette esthétique est utilisée pour mettre en évidence la solitude des trois héros placés au milieu des décors dépouillés et sans âme, trop grands pour eux. Ce long-métrage s’articule autour trois anti-héros : Jim, torturé entre une mère autoritaire et un père démissionnaire, «Platon», solitaire, et Judy, mal aimée. Ces trois amis aspirent à une autre vie et s’inventent une famille de substitution. Là où le metteur en scène innove, c’est en décrivant une jeunesse blanche aisée en proie à la révolte. Jamais portrait d’adolescents n’avait été aussi bien ausculté. Chaque plan souligne à quel point il s’agit d’une tragédie antique : on y retrouve, entre autres, le mythe œdipien dans le personnage de Jim, et celui de la caverne chez le jeune «Platon»… Nicholas Ray déploie des cadrages irréprochables, et ses positions de caméras théâtralisent certaines scènes légendaires en stylisant l’image grâce à la flamboyance du Technicolor, empourprant l’intrigue de couleurs primaires, notamment le rouge, métaphore d’une sexualité en éveil. Le cinéaste inscrit le plus souvent ses héros dans l’horizontalité pour mieux souligner leur progression mentale. La rébellion et le passage à l’âge adulte sont viscéralement incarnés par James Dean, jeune acteur qui exprime les tumultes intérieurs par le biais de son corps ; et toute une époque va se retrouver en lui. «C’est l’histoire d’une génération qui devient adulte en une nuit», décrypte le scénariste Stewart Stern. Une œuvre modèle pour des réalisateurs comme Jacques Rivette, Jean-Luc Godard, George Lucas, Martin Scorsese et Jim Jarmusch, universellement intemporelle pour toutes les générations habitées par cette fureur de vivre.

Sébastien Boully

LA FUREUR DE VIVRE
Film américain réalisé par Nicholas Ray
Avec James Dean, Nathalie Wood, Sal Mineo
Genre : Drame
Durée : 1h51
A voir en VOD sur : Univers Ciné / FILMO TV / Canal VOD / MyTF1 VOD / ORANGE VOD