[ciné-classique] La Soupe aux choux : Un Louis de Finesse

En 1981, sortait sur les écrans français La Soupe aux choux. Nanar absolu pour les uns, film à tout jamais culte pour les autres, cette adaptation du roman de René Fallet est surtout une ode à la France de la farce et du bon vivre.

Un petit film. Un des derniers de Funès. Des paysans, du vin, de la bouffe et des pets. Et pourtant ! Pourtant derrière cette paillardise made in France, derrière une réalisation un peu poussive et des effets spéciaux datés, la douce parabole écologiste, libertaire et profondément Française de Fallet apparaît sous les maladresses du métrage. Il faut lire entre les lignes pour capter le message de René Fallet, parer le gras du jambon pour saisir ce doux anarchisme et cette grandiloquence Rabelaisienne qui dégouline grassement sur tes pompes. Un petit film maladroit mais profondément ancré dans notre patrimoine, presque sans le vouloir, comme si cela allait de soi.

C’est perdu en France.
Dans un trou de verdure, comme disait le petit Arthur et ses yeux fous.
Un endroit retiré du tumulte du monde. Une nature tolérante, à peine apprivoisée, qui t’autorise à cultiver son sein pour te nourrir de son lait.
Un micro-monde sauvage, une France terrienne bien dans ses sabots.
Mais une nature fragile, qui entend au loin un bourdonnement désagréable. Des tractopelles !
Des tractopelles aux mâchoires d’airain qui bouffent tout sur leur passage, dévorant du bois frais et dégueulant du béton.

Dans cette belle verte, deux maisons se font face.
Ces vieilles maisons paysannes, presque humaines, qui ressemblent physiquement à leur propriétaire.
Dans ces maisons de campagne vivent deux reliquats de la ruralité Française.
Deux amis, deux frères : Claude Ratinier, dit le Glaude, et Francis Chérasse, dit le Bombé.

Le premier est sabotier et le second puisatier. Métiers en voie de disparition, tout comme ces deux papis bougons et misanthropes, vivants à l’écart du monde, écartés par le monde, oubliés de tout le monde.

C’est par une nuit sans nuages, sous un ciel étoilé, par une belle soirée d’été, que leur petite vie simple va changer.
C’est un concours de pets, un délire intestinal dantesque, une Logorrhée anale digne du dernier Florent Pagny. Une ribambelle de prouts sonores et malodorants comme un best-of de Christophe Maé. Un lâcher de perlouzes à faire pâlir toutes les huîtres nacrière de Polynésie.
C’est donc ce déferlement de vents violents à faire péter les vitres blindées d’une papamobile, qui va, comme un appel au secours, envoyer un signal au-delà des étoiles.
Ces pets sont un message, leurs culs un stylo avec lequel ils vont attirer leur unique lecteur.
Ce lecteur, ce Champollion du prout, ce décodeur anal+ arrive des étoiles.

UN EXTRA-TERRESTRE, TÛDJÛ !

Une soucoupe volante en tôle ondulée et une tenue ridicule que seule Afida Turner accepterait de porter, voilà notre alien à nous.
Un alien franchouillard préférant les litrons de rouge au litre de sang et la soupe aux choux au viscères sanguinolentes.
Ce sera le début d’une belle amitié entre le Glaude et La Denrée ( C’est le nom du Prédator en combinaison jaune !). Une jolie amitié au goût un peu fadasse de soupe aux choux.

C’est l’aventure merveilleuse d’un homme. Celle du Glaude.
Le Glaude qui voit revenir sa femme, sa douce Francine. Parce qu’il est triste le Glaude depuis qu’elle l’a abandonné pour vivre avec des nuages tout blancs.
Notre Denrée, elle veut pas que son pote le Glaude soit triste. Alors il lui rend.
Tombée des nues, toute nue. Toute jeune. Mais le Glaude il a vieilli. Il comprend. Il la laisse partir.

Et ça lui fait mal. Et nous on chiale quand elle part.
On chiale parce que le Glaude, il nous déchire le coeur.
Parce que le Glaude, il n’a jamais fait pleurer.
Il s’est juste contenté du plus difficile : Faire marrer. Faire pisser de rire des générations de spectateurs. Des années durant, il a fait le clown cachant l’homme derrière tout ce maquillage.
On ne se doutait pas que sous ces mimiques outrancières et ces colères homériques pouvait se cacher le coeur d’un homme. Le coeur d’un acteur, complet, entier.
Un acteur qui dans un film comique d’un goût mal assuré et sur une scène de 40 secondes te fait pleurer comme une gamine, comme si tu voyais ta grand mère triste comme la pluie et les larmes aux yeux.

C’est un « petit » film que cette soupe aux choux.
C’est la nostalgie d’une France, d’une époque et d’une enfance révolue.
Un film Français, dans toute sa tradition littéraire, artistique et culturelle.
Parce qu’on y bouffe. Des ragoûts mijotés, des soupes épaisses, de la charcuterie parfumée.
Parce qu’on y boit. Des litres et des litres du bon sang de la vigne, de ce vin qui éclaire les esprits et les nez.
Parce qu’on y pète comme un défi au bon goût et un pied de nez aux cons.
Parce qu’on y rit. Car c’est la vie.
Parce qu’on y pleure. Car c’est la vie.

Et parce que cette France de la farce, du bon vivre, de cet épicurisme Gargantuesque se dérobe sous leurs sabots crottés.
Nos deux amis paillards : Notre bon Glaude et notre Bombé tout tordu, partiront avec la Denrée, suivant cet extraterrestre étrange, mais tellement plus humain et Terrien que leurs con-contemporains.

Ils arracheront leur bout de Terre, leur bout de France. Ils feront de ce doux anarchisme écolo et paillard, de cette utopie Rabelaisienne à l’accent paysan, de ce monastère de Thélème enfin possible: une réalité .
Faisant de cette exception Française, la norme Universelle.

La Soupe aux choux est sorti au cinéma le 2 décembre 1981.