« The Devil Laughs » : la pop minimale et raffinée de Stuart Moxham & Louis Philippe

Cela faisait quelques années que l’on attendait une suite à The Huddle House (2007), premier fait marquant de la collaboration entre l’ex Young Marble Giants Stuart Moxham et le Français Louis Philippe, The Devil Laughs dépasse toutes les espérances avec sa pop minimale qui tisse un lien entre une bossa nova et des effluves à l’Atzec Camera. Brillant !!

Il y a une vertu qui permettra à la Pop de ne jamais s’épuiser et de ne jamais, absolument jamais nous lasser. Un je ne sais quoi que l’on pourrait qualifier de rapport à l’intime, quelque chose de l’ordre du confort, quelque chose de l’empreinte que laisse un corps dans un lit, cette chaleur survivante qui perdure bien des instants après le réveil. On pourrait entendre mille fois les mêmes formules que l’on se laisserait prendre au piège malgré tout. Alors quand la Pop entre dans le territoire purement formel d’une esthétique et d’une recherche de la beauté absolue, on ne peut que s’incliner et se laisser porter. Il suffirait de citer une école qui court de Sean O’Hagan (auteur d’un sublime disque récemment) à Paddy MacAloon en passant par Bertrand Burgalat auquel on se devrait de joindre l’ex Young Marble Giants et bien trop rare Stuart Moxham ici encore une fois accompagné du français Louis Philippe (alias du journaliste écrivain et musicien Philippe Auclair).

Cette collaboration n’en est pas à son coup d’essai, les deux ayant déjà commencé à travailler sur les cendres de Young Marble Giants et plus particulièrement dans The Gist au début des années 90.

Aussi paradoxal que cela puisse paraître, sans doute pour comprendre The Devil Laughs, ce disque à la simplicité de façade, à la superficialité en trompe l’œil, sans doute faut-il revenir aux groupes qui ont été influencés par les travaux passés de Stuart Moxham. Il faudrait citer de suite Stereolab, Tim Gane et Laetitia Sadier triturant ces mêmes penchants surréalistes, faisant entrer en collision des décennies musicales qui ne se rencontraient pas jusque là, le psychédélisme des années 60 et le Rock Indie des années 90. On pourrait tendre encore un pont entre Moxham et Sean O’Hagan pour cette même obsession pour les lignes mélodiques à la fois minimalistes et maximalistes de Brian Wilson avec ou sans The Beach Boys.

Les deux ont en commun de se balader dans leur vie et leur carrière musicale comme deux dandys nonchalants qui dissimuleraient avec difficulté une angoisse profonde. Alors pourquoi se dégage-t-il de leur musique une quiétude, une tranquillité que l’on n’entend nul part ailleurs.

L’un comme l’autre sont bien plus des artisans que seulement des musiciens. On imagine bien la somme de travail qu’il aura fallu à Louis Philippe, Stuart Moxham et le pianiste Danny Manners  ici préposé à la Contrebasse pour obtenir ces douze chansons de prime abord anodines et viscéralement nécessaires au bout du compte.

Avec une belle élégance, chaque mot, chaque note est méticuleusement choisi, pesé et posé à la place qui lui convient. Tout cela confine à l’exquis et au précieux sans jamais tomber dans l’esbroufe. Il y a aussi quelque chose d’éminemment ambitieux dans leur idée commune de composer de la musique. Ils font appel à l’intelligence de leur auditeur et ne tombent pas dans des facilités où la sensibilité est seule mise en avant. Il suffit de se rappeler que c’est le même Louis Philippe qui s’est réapproprié des partitions de Francis Poulenc en 1998 avec Nusch déjà accompagné de Danny Manners. Osant un maniérisme distancié dans la voix Philippe Auclair rendait justice à ces lieders à la fois malicieux et dépouillés de tout romantisme tapageur. On retrouve cette même démarche dans The Devil Laughs, un jeu avec la désuétude et le suranné car la musique de ces deux-là réunis ensemble est assurément une apologie du temps présent, du dilettantisme.

 

En savants lettrés, Stuart Moxham et Louis Philippe se plaisent à glisser quelques références comme autant de clins d’œil, comme autant d’indices pour les suivre dans ce périple un peu étrange. On entendra ici et là un Michel Legrand, ici quelques sonorités tropicalistes, ici un psychédélisme porté par l’orgue de Stuart Moxham.

On entendra parfois Burt Bacharach ou encore les Kings Of Convenience dans ce disque volontiers et ouvertement incohérent. Il faudra parler donc de malice sur ce disque qui joue avec la répétition (It Goes Like This), la citation au Requiem Pour Un Con de Gainsbourg (l’ouverture rythmique de Love Hangover). la musique des deux vétérans de la cause Pop est d’une belle verdeur et d’une exaltation contagieuse. On pensera souvent aux premiers Everything But The Girl ou au Ben Watt De North Marine Drive (1983), la Pop de Moxham et Louis Philippe s’imprégnant d’un jazz brésilien, rencontre possible entre Heitor Villalobos et Baden Powell. Il y a dans la musique des deux, ce moelleux, cette tendresse pudique entendue sur les disques les plus sages de Robert Wyatt ou de John Greaves. On a souvent cette impression de se retrouver coincé dans cet espace-temps où la Pop Anglaise, en pleine épidémie de garçons-coiffeurs manipulant des synthétiseurs, redécouvrait les plaisirs Vintage d’un Jazz Pop à l’image des Style Council avec le chef d’oeuvre Café Bleu (1984) ou encore Working Week, Working Week justement né des cendres de Weekend, le projet dans lequel la chanteuse Alison Statton s’impliqua après la dissolution de Young Marble Giants. Pour autant, la musique de Stuart Moxham et Louis Philippe n’est jamais passéiste mais belle et bien de son temps ou plutôt d’un temps qui n’existe pas encore.

Celui qui écoutera trop rapidement les 12 chansons qui composent The Devil Laughs n’y entendra peut-être que de petites anecdotes presqu’anodines mais l’anodin ne se révèle-t-il pas le plus précieux au bout du compte ?

Greg Bod

Stuart Moxham & Louis Philippe – The Devil Laughs
Label : Tiny Global Productions
Sortie le 17 juillet 2020