Julien Ledru – White Oak Blues : une merveille à la fois naturaliste et poétique

On parle beaucoup des albums « solo piano », mais il ne faudrait pas oublier qu’il y a une scène passionnante chez les guitaristes solistes, qu’ils soient électriques ou acoustiques. Parmi ceux-ci, Julien Ledru vient confirmer son talent avec son second album White Oak Blues.

Crédit photo : Hervé Le Gall

Quel charme trouve-t-on dans ces disques où le musicien s’isole et se confronte à son seul instrument dans un exercice sans filet qui refuse la tiédeur et l’approximation et qui pourtant s’autorise la fragilité ? Pourquoi ces disques-là nous bouleversent plus que d’autres plus produits, plus écrits, plus réfléchis ? Peut-être parce qu’ils assument cette spontanéité que des œuvres plus sophistiquées ont oublié en chemin. Là où dans la Pop, l’inspiration ressemble à une grande autoroute linéaire, toute droite, les disques de solistes sont toujours des chemins de traverse, des escapades, des dérives irréfléchies. On les chérit ces disques-là, ceux de Don Peris, ceux des vénérables John Fahey et Elizabeth Cotten.

Si la contemplation et la torpeur sont pour vous des vertus voire des richesses, un temps dégagé des ennuis, un éloge de la lenteur alors White Oak Blues, second disque du guitariste Julien Ledru vous attend avec une impatience tranquille. Julien Ledru est français comme son nom l’indique, Rémois pour être précis. Pourtant, je mets fort à parier que si je vous imposais ce jeu du blind test, il vous serait bien difficile d’imaginer que derrière ces mélodies en fugue en quête de grands espaces et de recoins intimes, se cache un musicien de notre hexagone. S’appuyant sur la technique du Fingerpicking, Julien Ledru s’inscrit dans une approche Folk de son instrument, ce qui n’empêche pas à sa musique de se déployer parfois dans des envolées presque Pop. Chaque titre regorge d’une petite trouvaille, d’une infime inflexion, d’une minuscule rupture qui met à distance la prévisibilité et qui éloigne la monotonie.

Volontiers chaleureux, l’univers de Julien Ledru sait se faire virtuose sans jamais, absolument jamais oublier son auditeur. Aucune velléité expérimentale qui viendrait nuire à l’attention et à la clarté du propos. Julien Ledru, au contraire, manipule le silence comme un espace possible. C’est souvent beau à pleurer, touché par une grâce modeste et sans éclat. Julien Ledru ne garde que l’essentiel, une émotion brute et élégante.

Dans la hiérarchie artistique, les oiseaux sont les plus grands musiciens qui existent sur notre planète.

Olivier Messiaen

Ce que l’on constate d’évidence avec l’accumulation de ces deux disques, c’est tant dans l’illustration des pochettes (superbes au demeurant) une obsession certaine pour l’ornithologie, pour nos amis oiseaux qui sont (il ne faut pas l’oublier) les premiers musiciens que la terre ait portés. Oliver Messiaen qui l’avait compris bien avant nous le dit bien mieux que moi mais il le traduit encore en musique dans son Catalogue d’oiseaux.  Ce que l’on entend justement dans White Oak Blues, c’est une volonté à dépeindre quelques paysages, des arbres aux branches qui ressemblent à des bras qui enlacent.

L’écriture se fait ici suggestive de formes et d’impressions fugaces. On peut entendre au sein d’un même morceau une multitude d’évasions de l’esprit. On y croise également des tonalités différentes, des localisations géographiques éparpillées sur une carte routière poussiéreuse et imprécise. Prenez The Death Of The Wood Ibis et ses accents des Appalaches. Julien Ledru suit les traces de Jean-Jacques Audubon (auteur de la pochette du disque), ornithologue, naturaliste et peintre américain d’origine française du 19ème siècle. On devine aisément la surprise des deux à la découverte d’une nouvelle espèce d’oiseau ou d’un paysage merveilleux de plénitude.

Julien Ledru présente lui même White Oak Blues  ainsi :

Dans la lignée d’Along The Road I Had Traveled (autoproduit et édité en vinyle en 2019 en partenariat avec Microcultures) et inspiré par les grands espaces américains d’artistes tel-le-s que Glenn Jones, Elizabeth Cotten, John Fahey ou Etta Baker, mon second album de fingerpicking White Oak Blues creuse encore plus le sillon mélancolique du blues.

 

 

White Oak Blues est  d’une timidité merveilleuse, d’une discrétion absolue qui pourrait le faire passer inaperçu. C’est une musique qui ne résiste pas et qui se donne, qui pousse à une forme d’abandon et de lâcher-prise. Sorti au printemps dernier en version digitale, White Oak Blues sortira courant novembre sur le label Marjan Records, entité portée par Jean-Michel Poullé, Thierry Ozoux, Olivier Wiel et Guillaume Charret ayant déjà sorti le projet collaboratif Tara, émanation née de la rencontre entre Guillaume Charret et Lonny Montem mais aussi le 4ème album de Yules, A Thousand Voices.

Prenez donc vos carnets à croquis, déposez minutieusement la feuille d’un arbre inconnu dans votre herbier, laissez sur la table votre GPS et partez à l’inconnu avec Julien Ledru et son magnétique White Oak Blues.

Greg Bod

Julien Ledru – White Oak Blues
Label : Marjan Records
Sortie :  le 8 mai 2020 – Sortie Vinyle le 4 décembre 2020