[Interview] Michael J. Sheehy (2e partie) : « La vraie musique est celle qui oscille entre les genres »

Dans cette seconde partie de notre interview de Michael J. Sheehy, on continue à explorer sa trajectoire musicale, ses galères passées en tant qu’artiste solo, jusqu’à sa récente renaissance. Et surtout on parle du présent. Et de l’avenir.

Michael J. Sheehy
Michael J. Sheehy – La Maroquinerie – 11/10/2009

Benzine : Commencent donc tes années solo…

Michael J Sheehy : Oui, j’ai fait 3 albums solos pour Beggars Banquet, et puis ils m’ont laissé tomber… Mais je n’ai rien à leur reprocher, ils m’ont offert une vraie chance de me développer… Mis à part ce contrat qu’ils m’ont fait signer, et que plus personne ne signerait aujourd’hui !!! Mes albums ont été très bien reçus par la critique, ils ont eu beaucoup de revues favorables, mais cela ne s’est jamais traduit par des ventes.

Puis un ami m’a donné un gros iMac, qui fonctionnait avec beaucoup de difficultés, il était très lent, donc c’était très difficile de mixer l’album que j’avais créé. Mais finalement j’ai réussi à terminer l’album, et c’est devenu Ghost on the Motorway… A partir de 2007, j’ai tourné un peu en Allemagne et en France, il n’y avait pas beaucoup de public, j’ai eu des difficultés avec les deux groupes que j’ai montés en 2008 et 2009, il y avait un vrai manque d’harmonie, et j’étais à peu près tout le temps ivre. Sobre, j’aurais constitué un groupe plus harmonieux ! Je n’ai pas pu payer assez bien les musiciens, ce qui fait que l’attitude générale n’était pas très positive. Ça a été parfois assez difficile. À la fin, j’étais vidé, je ne me voyais aucun avenir. Il y a eu un incendie dans mon appartement, j’étais tellement ivre que je m’étais évanoui, je n’ai pas entendu le détecteur de fumée, j’ai été traîné dehors par les pompiers qui m’ont emmené à l’hôpital. J’allais bien, mais ça a été un vrai choc pour moi. J’ai fait le point, et j’ai réévalué ma vie. Ma femme m’a probablement sauvé la vie, elle a mis une énorme confiance en moi, elle n’a pas essayé de me changer… Je ne ferais pas de musique à ce jour si ce n’était pas grâce à elle.

Nous nous sommes mariés, je suis devenu sobre et Miraculous Mule m’a fait du bien. Même quand c’était dur, c’était bien d’être avec ces amis. Ça s’est bien passé. Une de nos chansons a été reprise pour une publicité de whisky (rire). Ça coûte de l’argent d’avoir un groupe, et heureusement, tout a été couvert par cet argent de la pub et par quelques concerts aux USA et en Australie. Nous continuons à travailler ensemble sur de futurs projets.

« Pour moi, faire de la musique est une obligation ! »

Benzine : Ton nouvel album a quelque chose d’un vrai “classique”. Quelque part, même dans un genre différent, il nous a fait penser à Dylan…

Michael J Sheehy : Le dernier Dylan est son meilleur album depuis une éternité. Ce disque m’a fait penser à ce qu’écrivait Hermann Hesse dans son Siddhartha : Dylan est devenu chaque homme et chaque femme dans ce monde… Il y a dans l’album tant de beauté, mais aussi un peu de malveillance. Il y a du feu et du souffre…

Benzine : … comment juges-tu de l’évolution de la musique en ce moment, pour les musiciens qui en font et les gens qui en écoutent ?

Michael J Sheehy : Pour moi, faire de la musique est une obligation, c’est quelque chose que je dois faire. Je m’en éloigne et puis j’y reviens. J’ai un niveau d’attente très modeste. J’ai appris ça avec le temps.

Les changements dans l’industrie de la musique ont eu un impact sur tout le monde, mais il y a toujours eu des artistes qui gagnent et des artistes qui perdent… La principale différence à mon avis est que, lorsque nous étions jeunes, il n’y avait que de la musique, les jeux vidéo venaient juste d’apparaître, il y avait peu de concurrence pour capturer notre attention. Nous regardions le même film encore et encore. Les albums que nous avions, nous les écoutions des dizaines de fois. Maintenant, il y a trop de choix. En fait, même parmi ce que nous avons à la maison, il y a trop de choix ! Le choix infini offert par Internet est quelque chose d’écrasant. Mais il y a toujours eu des auditeurs obsessionnels et des auditeurs occasionnels, cela n’a probablement pas changé, les jeunes ne sont pas tous pareils !

Michael J Sheehy

Une chose qui est bien différente, c’est qu’il est désormais facile de produire des compilations, avec les playlists Spotify… Avant on faisait des cassettes pour une fille ou pour un ami, il fallait bosser, il y avait un vrai acte d’amour (rires). La playlist devient désormais une chose périssable, sans importance. Mais heureusement, tout dans la musique ne devient pas jetable.

« C’est formidable de pouvoir désormais recevoir directement des messages de personnes qui aiment la musique que vous faites… »

L’une des grands avantages de la révolution numérique, c’est que vous pouvez faire de la musique et la sortir sans argent. On peut entendre maintenant beaucoup de grands musiciens qui, avant, n’auraient pas pu sortir de disques, il n’y a plus de « gatekeeper » ! Mais découvrir ces musiciens est devenue la partie la plus difficile… C’est pourquoi je publie des posts sur la musique que j’aime sur les réseaux sociaux. C’est une façon de faire passer le mot…

D’un côté, nous avons perdu une partie de la « mystique de la rock star », même si certains l’ont conservée, comme Dylan ou Tom Waits, mais d’un autre, c’est formidable de pouvoir désormais recevoir directement des messages de personnes qui aiment la musique que vous faites. C’est touchant…

Benzine : Et qu’est-ce que tu écoutes en ce moment ?

Michael J Sheehy : J’écoute un collectif qui s’appelle Sault – et leur dernier album, Black Is – qui capture le zeitgeist de ce qui se passe dans le monde en termes de relations raciales, c’est un disque puissant, c’est un grand album ! Sinon, le nouvel album de Bill Callahan est aussi un net pas en avant par rapport à son précédent.

J’ai tendance à écouter de la musique tous les jours, sauf quand je fais de la musique. Je ne sais pas si mes goûts ont changé avec le temps, j’aime toutes sortes de musiques, mon seul angle mort a toujours été le Heavy Metal, je n’y arrive pas avec le chant. J’ai essayé, mais je ne comprends tout simplement pas. Mais j’aime bien Led Zeppelin, Black Sabbath, et plus récemment Queens of the Stone Age, même si ce n’est vraiment du Heavy Metal. En fait, pour moi, la vraie musique est celle qui oscille entre les genres, qui ne reste pas coincée dans une case.

Benzine : Tes prochains projets ?

Michael J Sheehy : Il se passe pas mal de choses en ce moment. J’ai un disque acoustique avec Miraculous Mule qui est presque prêt. Je travaille aussi sur un autre projet, United Sounds of Joy, avec le guitariste de Dream City Film Club : c’est de la musique plus électronique, mais le projet n’avance pas très vite…

J’ai probablement 50 chansons en attente, pour la première fois, et j’ai besoin de décider ce que je vais en faire. Le dernier album a été une révélation, cela m’a fait réfléchir longuement sur l’opportunité de sortir ou pas des albums physiques.

Et il y a aussi la possibilité de tourner qui est devenue une question : après le Covid en 2021, il y aura toujours les conséquences du Brexit. L’avenir des tournées en Europe pour nous, musiciens anglais, est inquiétant. Je suppose que nous trouverons un moyen… De toute façon, dès que la situation Covid sera résolue, j’essaierai de venir donner un petit concert à Paris…

Benzine : Michael, on n’attend que ça !

Propos recueillis par Eric Debarnot
Photos live de Robert Gil

Michael J. Sheehy vient de sortir le vendredi 4 décembre deux nouveaux titres disponibles sur Bandcamp :