Rats on Rafts – Excerpts From Chapter 3… : le défi du 3e album brillamment relevé

C’est toujours un vrai bonheur que de voir un jeune groupe transcender ses origines un peu convenues et aller s’aventurer en territoire inconnu : c’est ainsi que les Hollandais de Rats on Rafts se positionnent avec leur troisième album comme l’un des plus grands espoirs de la musique européenne.

Rats on Rafts
D.R.

Malgré leur nom aux consonnances irlandaises (« Rats on Rafts » serait, mais est-ce vrai ?, le nom d’un plat à base de viande de rat confectionné à l’époque de la grande famine provoquée en Irlande par les Anglais), Rats on Rafts – soit les rats sur les radeaux – est un groupe néerlandais, basé à Rotterdam. On se souviendra peut-être de leur apparition voici déjà cinq ans en format plus « punk » que « post- » batailleur : provocateurs et rigolards, le gang à David Fagen (dont la mère est Irlandaise, ça se recoupe donc !) revendiquait joyeusement le droit de faire des choses nouvelles sans pour autant en avoir les compétences, ce qui, depuis 1977, est toujours un bon point de départ.

Rats on RaftsLe moins qu’on puisse dire, en écoutant leur troisième album, Excerpts From Chapter 3: The Mind Runs A Net Of Rabbit Paths (pas le titre le plus commercial en ce moment où on a tous du mal à prononcer des mots de plus de deux syllabes, et la pochette n’arrange rien !), c’est que nos sombres héros quasi-bataves ont parcouru du chemin ! S’ils s’habillent toujours en noir et ne sourient guère sur leurs photographies, le premier mot qui vient à l’esprit en s’engouffrant dans Tokyo Music Expérience, le single extrait de l’album, c’est plutôt le mot « fantaisie » : les synthés basiques et ludiques débitant des clichés « japoniais », le débit martial et hoquetant des paroles plus scandées que chantées, on est loin de la rigueur des forcenés de la cold wave, et c’est plutôt Devo ou The B-52’s des débuts qui viennent à l’esprit ! Et c’est très bien comme ça, on sent bien que ça peut déboucher très vite – en live, surtout, on imagine bien… – sur une jolie hystérie déclenchant des pogos homériques.

L’album s’ouvre étonnamment sur un instrumental orientalisant et serein, Prologue Rain, s’accélérant en un Trail of Wind and Fire qui introduit ce qui ressemble furieusement à un concept-album, comme dans les seventies, oui ! On dirait que Rats on Rafts n’ont peur de rien ! Le mélange de vocaux intenses, de guitares énervées sur une section rythmique qui semble toujours vouloir accélérer, et puis l’apaisement – provisoire – pop fonctionne parfaitement, distillant le genre de plaisir complexe qu’on pouvait associer autrefois aux meilleurs albums de The Fall.

Excerpts From Chapter 3: The Mind Runs A Net Of Rabbit Paths va ainsi souffler alternativement le froid et le chaud, le calme et la tempête, s’accordant des pauses contemplatives quasi abstraites (Second Born Child) avant de se jeter dans des tourbillons d’intensité, comme dans The Rise and Fall of the Plague, où les textes déclamés par un David Fagen très remonté se déploient sur un tapis dansant – basse puissante comme il se doit et chœurs exaltés et exaltants… Les intervalles dédiés à la pure narration peuvent dans ce contexte soit servir de respiration, soit, suivant l’état d’esprit de l’auditeur, faire par trop retomber la tension.

Eh oui, le troisième album est toujours essentiel dans la carrière d’un groupe ou d’un artiste : c’est typiquement celui qui souvent définit exactement l’essence de sa musique, et qui relance la trajectoire après deux albums typiquement construits sur une inspiration initiale qui commence à s’épuiser. Dans le cas de Rats on Rafts, on peut donc parler de l’expression d’une véritable ambition pour le futur du groupe, mais sûrement pas de prétention : car, passant d’une phase classiquement punky pop à l’exploration d’un univers psychédélique plus riche – ici et là, on peut penser aux expérimentations maboules de King Gizzard (The Disappearance of Dr. Duplicate) -, le groupe n’oublie jamais, en jouant avec les sons, en dévalant le versant le plus cacophonique de certaines de leurs compositions, que tout cela n’est pas vraiment sérieux.

On avouera qu’on n’a pas compris grand-chose à l’histoire racontée par Excerpts From Chapter 3: The Mind Runs A Net Of Rabbit Paths, mais c’est évidemment très bien comme ça : on a choisi d’en retenir des échardes d’angoisse noire qui se plantent dans la peau, d’en savourer même les passages les plus chaotiques, comme il se doit en notre époque d’isolement et d’accablement. On aime danser sur les hurlements de Where Is My Dream?, parce qu’ils succèdent à une jolie mélodie pop (encore une fois) « à la nippone ». On admire la foi qui anime le groupe sur un Pt. Two : Crossing The Desert, qui frôle – comme chez King Gizzard, encore – le Prog Rock, se rattrape aux branches grâce à une belle et brutale intensité, et à une indéniable fascination pour l’abime.

Quand on en arrive à l’épilogue réflexive (Epilogue : Big Poisonous Shadows), on n’a qu’une envie : reprendre le voyage depuis le début… Oui, même sous la pluie japonaise.

Eric Debarnot

Rats on Rafts – Excerpts From Chapter 3: The Mind Runs A Net Of Rabbit Paths
Label : Fire Records
Date de parution : 29 janvier 2021