[Interview] Barton Hartshorn : « Je n’arrive pas à accepter cette affirmation que la musique était meilleure avant »

Avec son dernier album, Not What I Expected To Hope For, merveille pop « feel good », comme la presse aime le qualifier, Barton Hartshorn accèdera-t-il enfin au succès massif qu’il mérite ? Nous avons donc rencontré – en distanciel, bien sûr – ce compositeur surdoué, qui a beaucoup de choses à raconter et d’idées défendre…

Barton Hartshorn
© we are the good children

D’Arcachon à Paris en passant par le village de Barton Hartshorn…

Benzine : Mais que fais donc un Anglais comme toi à habiter et jouer de la musique à Paris ?

Barton (dans un français absolument parfait…) : Tu sais, il y a quelques artistes d’origine britannique à Paris (rire), par exemple Hugh Coltman, avec qui je collabore… En fait ma mère est française, originaire du Sud-Ouest, et même si j’ai grandi entièrement en Angleterre, je venais passer mes vacances en France chez mes grands-parents près d’Arcachon… Mais je ne parlais pas un mot de français avant 9 ans, et puis j’ai passé un an en France avec mes grands-parents pour rectifier la situation ! J’ai grandi en Angleterre dans la région des Lacs, une région magnifique, mais avec un climat très dur, surtout quand on vient du Sud-Ouest de la France ! On a déménagé ensuite dans le village de Barton Hartshorn dans l’Oxfordshire. J’ai fait des études de langues à Londres, et j’ai eu envie de venir vivre en France… Je n’arrivais pas à trouver un label en Angleterre, quand je faisais écouter ma musique, il y avait toujours un truc qui n’allait pas, qui n’était pas à la mode. Et j’ai été signé par un label en Belgique, alors je me suis installé à Paris. J’avais mon groupe Dictafone, on a sorti 3 albums, qui ont bien été reçus…

Benzine : et c’est comme ça qu’on se retrouve à faire de la musique très anglaise en étant « parisien » !

Barton : C’est marrant que tu dises ça, quand je fais écouter ma musique à des Anglais, ils ne la trouvent pas du tout anglaise ! Depuis assez longtemps, j’écoute plutôt du rock indie US, en fait… Par exemple j’adore Spoon, et comme dans leur album Ga Ga Ga Ga, j’y retrouve l’esprit de ce que je recherche, beaucoup plus que chez les groupes anglais…

« Je suis surtout attiré par les mélodies… »

Benzine : Barton, peux-tu nous parler un peu de la manière dont tu es venu à la musique ?

Ça a commencé à l’âge de 10 ans, je ne me souviens de pas grand-chose avant, il y a zéro musicien dans ma famille, mon père a une bonne voix, mais à part ça, rien. Un matin, le directeur de l’école a annoncé qu’il allait donner des cours de guitare folk à ceux que ça intéressait. Je me suis souvenu qu’il y avait une guitare espagnole à la maison, que ma mère avait reçue en cadeau et que personne n’avait jamais utilisée. On a appris le fingerpicking à l’école, et rapidement vers 13, 14 ans, j’ai commencé à composer des chansons… vraiment horribles. J’ai alors passé 4 ans dans une école très expérimentale, où on pouvait faire tout ce qu’on voulait, et bizarrement, il y avait zéro créativité !

Benzine : On dit souvent que l’Art nait de la contrainte…

Barton : Oui, un Billy Bragg – un artiste que j’adore… – n’aurait pas pu exister sans Thatcher !… Alors, j’ai changé d’école, pour retourner dans une école classique, avec de la discipline et des uniformes, un peu à la Harry Potter, et il y avait là un nombre de musiciens incroyable ! On jouait dans les bals de fin d’année et on composait ensemble. On est arrivés en jouant chacun d’un seul instrument, et on est tous repartis multi-instrumentistes ! Ma formation musicale a donc été faite de manière pas du tout officielle.

 

Barton Hartshorn
© we are the good children

Benzine : Dans tes disques, tu parcours des genres musicaux différents, quels sont les artistes qui t’ont le plus influencé ?

Barton : Les gens qui m’ont le plus influencé datent des années 70 : d’un côté, la côte Ouest US, Steely Dan, toute la scène folk, Joni Mitchell. Et puis en Angleterre, la scène post punk, les gens qui avaient amené l’énergie punk dans la musique pop, ce qu’on appelait la New Wave à la fin des années 70 : Joe Jackson, Elvis Costello… Et puis le groupe australien Crowded House, inconnu en France, qui remplissait les stades en Angleterre. Je suis surtout attiré par les mélodies, j’écoutais beaucoup de comédies musicales. Et pour la chanson française… est-ce qu’on a le droit de dire qu’on aime Francis Cabrel, aujourd’hui ? (rire) Pierre Vassiliu aussi, ce côté bizarre, Louis Chedid… Et puis, pendant mon enfance, je gardais le contact avec les gamins du village en France, donc j’ai écouté Jean-Jacques Goldman… Mais ils adoraient aussi Etienne Daho, et ça, ça m’échappe complètement ! (rire)

« Un retour à la normale… »

Benzine : Ce nouvel album, Not What I Expected To Hope For, c’est une rupture avec l’album précédent… Pourquoi ?

Barton : En fait, c’est le contraire… L’album précédent, qui m’a offert un petit succès en France et aux USA, a été fait pendant que j’habitais en Australie, je me suis forcé à écouter des styles de musique que je n’écoute pas normalement : j’ai écouté de la country, ce n’est vraiment pas mon truc, mais ça m’a emmené vers l’Americana, et en composant, c’est sorti dans le même style. J’ai fait écouter ça à mon co-producteur Vincent Guibert, qui était bassiste dans Dictafone, et comme exercice de style, on s’est fait un peu plaisir en réalisant les maquettes dans le « style americana », et finalement c’est cet album qui a eu le plus de succès… Le dernier est en fait un retour à la normale.

Benzine : Quels sont tes projets pour suivre cet album ?

Barton : Eh bien, j’espère comme tout le monde qu’on pourra faire des concerts cet été, pour pouvoir le défendre sur scène. En temps normal, j’aurais pu le jouer en live sur la base de la bonne réception qu’il a eue dans la presse… Sinon, je ne devrais pas en parler, mais on a commencé la semaine dernière les maquettes du prochain album, j’ai déjà tous les morceaux… Et en parallèle, je travaille sur un album plus orchestré, dans un esprit de musique de film. Je ne sais pas comment et quand ces deux projets verront le jour.

Benzine : Quelle est ta vision de l’évolution actuelle de la musique, que ça soit du côté de la création que de celui de la manière dont on l’écoute ?

Barton : Ce sont des questions que je me pose depuis longtemps, comme je suis réalisateur (« producer » en anglais), et que j’ai un label… Pour commencer par le sujet qui fâche, le streaming, je suis content que le Ministre de la Culture en Grande-Bretagne ait posé la question aux labels sur le manque de rémunération correcte des artistes, il faut corriger ça… Mais en même temps, le streaming est inévitable à mon avis, les tendances de l’écoute du grand public ont toujours suivi la technologie, il est inutile de lutter contre… On est un peu hypocrites, nous les musiciens, on râle, mais on a tous un compte Spotify ou Deezer ! On peut regarder la question de la monétisation du streaming d’une autre manière : par rapport à un passage à la radio, en fait en streaming on reçoit plus d’argent que si on touchait le même nombre de personnes qui écoutent la radio… Le vrai problème est qu’avec le streaming, ça s’arrête là, personne ne va ensuite acheter quoi que ce soit !  Et il y a une boucle, on passe en radio une fois qu’on a pas mal de streaming, et à l’inverse la radio mène au streaming… Oui, le seul combat que je trouve utile, c’est d’essayer d’avoir de meilleurs « fees ».

 

Barton Hartshorn
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« Go back home, foreigner ! » ????

Benzine : Et la musique actuelle ?

Barton : Je jette toujours une oreille sur ce qu’écoute mon fils de 14 ans… Je n’arrive pas intellectuellement à accepter cette affirmation que « la musique était meilleure avant », c’est tenir le même discours que nos parents, nos grands-parents. Non, il faut seulement reconnaître qu’on a tous une musique qui est celle de notre génération, et qu’on va continuer à aimer toute notre vie, c’est tout. Il y a autant de génies aujourd’hui qu’avant, on les aimera seulement moins, nous, parce que ce n’est pas notre jeunesse… Je suis fan de Kendrick Lamar, je trouve l’album To Pimp a Butterfly absolument magnifique. C’est une merveille, peu importe le style, il faut juste accepter qu’on n’en sera pas aussi fan que de la musique de notre génération.

Benzine : Tu ne penses pas que la musique actuelle souffre du manque de producteurs ?

Barton : Oui, mais c’est intéressant de voir la manière dont les jeunes Américains ont su contourner le manque de « producers » en faisant de la musique très homogénéisée, comme dans le trap : tous les sons sont déjà préparées, ils n’ont plus qu’à ajouter une petite ligne de claviers, une ligne de basse, qui sonne toujours de la même façon, et puis ils rajoutent leur voix dessus. Comme ils n’ont plus accès aux connaissances techniques des producteurs, il y a un « pack lego » de musique avec lequel construire. A mon avis, c’est aussi une preuve de créativité, il y a là un minimalisme audacieux, qui est devenu du mainstream. C’est une vraie réussite, je trouve…

Benzine : Dernière question, un sujet qui te tient à cœur, le Brexit…

Barton : C’est terrible, c’est grotesque ce qui arrive en Angleterre… Depuis la semaine dernière – on n’en parle pas dans les journaux français – il y a des affiches gouvernementales en Angleterre, qui proposent 2000 Livres à ceux qui « sont prêts à retourner chez eux ». Voilà où on en est ! Et à un stade où même les journalistes anglais n’en parlent qu’en termes « administratifs », comment c’est géré, etc. Ce qui se passe là-bas est tellement énorme, ce « Go back home, foreigner ! », et les journalistes ne sont même pas choqués. Un jour, il faudra se rappeler que c’est comme ça, que c’est à ce moment-là que commence une dictature d’extrême-droite…

Benzine : Alors, on va en parler sur Benzine, et on se revoit très vite pour discuter de tout ça plus en détails… Merci, Barton, et à bientôt !

Interview réalisé par Eric Debarnot

Not What I Expected to Hope For
Label : Suxeed – Inouïe Distribution
Date de parution : 22 janvier 2021

Barton Hartshorn – Not What I Expected to Hope For : pop et folk anglais éternels