« Milwaukee Blues », de Louis-Philippe Dalembert : un roman contre la violence et pour l’humanité

Louis-Philippe Dalembert raconte le blues, la misère et la peine de ces populations victimes de la violence de la vie, de la violence des institutions et de la violence de la culture, sans manichéisme ou simplification.

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© marco castro

Parce qu’il a utilisé un faux billet à la supérette du coin, Emmett est dénoncé et arrêté par la police. Et les choses se passent mal. Nous sommes aux États-Unis d’Amérique. Milwaukee. Franklin Heights, un quartier pauvre de la ville habité quasi-uniquement par des afro-américains. C’est là que naît, grandit, vit te meurt Emmett, victime de ce qu’on appelait il y a quelques années encore une « bavure » et qui est maintenant admis comme de la violence policière, comme Georges, Ahmaud, Jacob, Daniel, Deon et bien d’autres.

milwaukee-bluesLouis-Philippe Dalembert a écrit Milwaukee Blues pour lui – leur – rendre hommage. Et, comme par humilité, il s’efface et donne la parole à d’autres. Il convoque celles et ceux qui ont connu Emmet. Une ancienne maîtresse d’école. Deux amis d’enfance, dont un « pote dealer ». Son ancien coach de football. Une ex-petite amie… Il convoque aussi le policier qui a tué Emmet. Et des inconnus : celles et ceux qui organisent une manifestation en son honneur et celles et ceux qui y participent, portant leur douleur et leurs revendications depuis Franklin Heights jusqu’à la mairie de la ville. Les témoignages et souvenirs, d’un côté, et la préparation et la description de la manifestation, de l’autre, constituent les deux grandes parties de Milwaukee Blues.

Le défi que se propose de relever Louis-Philippe Dalembert est de taille. Trouver le ton juste pour faire parler chacune des personnes qu’il a choisies n’est pas simple. Et ce n’est pas toujours réussi. Le style riche et recherché de l’auteur va bien mieux au coach à l’enseignante, ou à la docteure qu’au « pote dealer », à « l’amie d’enfance » ou au gérant de la supérette. Le mélange entre expressions informelles et expressions sophistiqués est gênant. Leur façon d’utiliser des mots en anglais est un peu étonnant et difficile à comprendre. De fait, certains personnages peinent à exister.

Mais, au-delà des questions de formes et des détails de style, Milwaukee Blues est un roman attachant, émouvant, humain. Milwaukee Blues est avant tout une histoire d’individus, d’hommes et de femmes. Milwaukee Blues est une lamentation, une plainte, un cri pour l’humanité et l’entraide. Emmett, d’abord. Victime de la police, oui. Mais de sa mère également, dévouée et attentive, très, trop, possessive en fait. De son père aussi, qui l’a abandonné. De son agent, qui le pousse vers l’abîme pour des questions d’argent. Authie, Stokely, Nancy, Marie-Hélène, toutes et tous qui en nous parlant d’Emmett nous racontent leurs vies, leurs malheurs et de leurs réussites, de leurs efforts et de leur volonté de s’en sortir. Chacun a ses qualités, et ses défauts. Il n’y a pas les bons d’un côté et les mauvais de l’autre. Voilà une des grandes forces du roman : ne pas être manichéen.

Une autre des forces de Milwaukee Blues est de ne pas être une critique étroite et attendue d’un système, d’une culture, d’un pays. Certes, Louis-Philippe Dalembert dénonce le sport universitaire américain. Il critique le président des Etats-Unis, et fait une description acide des médias. Il n’est pas tendre avec la police — dont il donne l’impression qu’elle défend les suprématistes blancs bien plus qu’elle ne protège les manifestants pacifistes. Pas plus qu’il n’est tendre avec les blancs des classes moyennes ou aisées qui vivent bien dans leurs villas cossues du sud de la ville pendant que d’autres meurent à petit feu au nord, quelques kilomètres plus au nord. Ces blancs indifférents aux noirs, intolérants racistes – les afro-américains sont de leur côté méfiants mais bien plus ouverts. Mais il nous parle aussi d’un pays où un jeune issu d’un quartier défavorisé peut obtenir une bourse pour jouer au football dans une université. Il nous parle d’un pays où la fille d’un émigré illégal haïtien peut faire une thèse.

Milwaukee Blues est un roman complexe, sur un sujet difficile. Un roman sur la justice, et l’humanité.

Alain Marciano

Milwaukee Blues
Roman américain de Louis-Philippe Dalembert
Editeur : Sabine Wespieser
288 pages – 21€ / 15,99€
Parution : 26 Août 2021
ISBN : 978-2-84805-413-1