Le Trabendo est sold out depuis un moment pour le premier « vrai » concert à Paris de Black Country, New Road, encore un nouveau petit groupe prodige de la nouvelle scène anglaise, que tout le monde a très envie de voir…
Est-ce que ce niveau de frénésie s’explique par l’excellent album paru en début d’année, ou bien par le peu de groupes britanniques réussissant pour le moment à franchir les barrières érigées par le Brexit ? C’est la foire d’empoigne sur le Net pour attraper les dernières places en revente, et tous ceux qui sont au Trabendo ce soir s’estiment heureux d’être là…
20h15 : Drug Store Romeos jouent de la musique atmosphérique, pleine de délicatesse et de sensibilité. Bon, ils sont trois : elle – Juliette ? – chante d’une voix enfantine et timide derrière son clavier, l’un des Roméos est bassiste et sautille, tandis que l’autre est un batteur vaguement jazzy. De temps en temps, des volutes de beauté s’élèvent, mais se dissipent trop vite. Il y a des moments où les musiciens ne font pas grand-chose sur des sons préenregistrés. Ils échangent quelques instruments, elle finit par jouer de la flûte. Quand elle parle d’une voix douce, elle parle trop bas pour qu’on comprenne ce qu’elle dit, et ça symbolise finalement bien le problème de cette musique : loin d’être déplaisante, elle échoue à communiquer quelque chose. On a du mal à leur en vouloir néanmoins de nous avoir très légèrement ennuyés. A la fin, avant de s’en aller, ils retirent la tulle rose qu’ils avaient installé sur les retours, c’était sans doute important pour eux, mais on ne sait pas pourquoi.
21h15 : C’est sur une improbable Danse du Sabre de Khatchatourian que les sept musiciennes et musiciens de Black Country, New Road pénètrent sur scène, en riant et en dansant, et il faut admettre que cette apparition dynamique, sympathique, tranche agréablement avec la morgue habituelle de jeunes groupes anglais, qui ont souvent une grosse tête parce qu’ils sont trop et trop vite célébrés. On a plutôt l’impression d’avoir affaire ici à une bande de copains qui vont s’amuser ensemble ! Et très vite, sans doute par faute d’avoir écouté attentivement leur premier album, le bien nommé For the First Time, on est encore plus surpris par la musique du groupe : festive, avec d’amples tonalités folkloriques (on dirait même avec un peu de slavitude, si on osait), et des dérapages grandiloquents qui évoquent même les excès de Divine Comedy (comme sur le nouveau single, Chaos Space Marine…), cette musique est de fait très éloignée de celle de leurs contemporains comme Black Midi ou Squid… même si elle inclut en effet des moments free jazz elle aussi, comme sur le programmatique Instrumental ! A noter d’ailleurs un petit malin dans la salle qui braille un peu trop régulièrement « White Midi ! White Midi ! » et qui va se faire rembarrer assez vertement par le groupe…
La disposition du groupe sur scène est également assez peu conventionnelle, avec Lewis, l’imposant saxophoniste en plein centre (on attendrait logiquement qu’il soit le chanteur…), et Isaac Wood presque caché dans son coin, à l’extrême gauche (vu depuis la salle). C’est donc presque surprenant quand Isaac, qui ne paie vraiment pas de mine, avec un pantalon et des chaussures qui lui donnent presqu’un air de SDF – et qui seront largement commentés à la fin du concert -, commence à chanter. Mais il chante d’une voix si magnifique, si dévastée en même temps, qu’il hypnotise immédiatement le public : l’émotion que dégage Isaac sur des chansons comme Athens, France ou le merveilleux Track X est purement exceptionnelle. Des réminiscences d’autres leaders ainsi enchantés nous viennent à l’esprit : Coner Oberst chez Bright Eyes ou Mark Eitzel chez American Music Club sont les premiers noms qui surgissent, mais c’est dire la hauteur à laquelle nous avons envie de placer Isaac Wood… D’ailleurs, en regardant autour de nous, il est facile de se rendre compte qu’une partie du public est venue pour absorber cette émotion débordante, surréelle. Et de fait, par moment, la musique s’élève à des hauteurs inattendues…
La setlist proposée ce soir n’est pas pourtant pas facile, puisque la moitié des morceaux joués seront des extraits du futur album, pas encore sorti, mais Black Country, New Road arrivent à nous captiver même sur des chansons que nous ne connaissons pas encore. Le set se clôt par le magnifique Opus, avec sa magnétique intro au saxo, ses passages chantés qui frôlent le désespoir, ses explosions bruyantes, son lyrisme débordant basculant d’un coup vers une nouvelle danse slave qui emporte le public : une conclusion épique pour un concert bien supérieur à ce que nous espérions.
Pas de rappel : le public ne veut pas croire que c’est déjà fini, après 1h15, et le fait que les musiciens, qui sont leurs propres roadies, sont partis au bar et ne commencent pas à débarrasser la scène laisse planer un doute. Reviendront-ils ?
Non, bien sûr, il faut bien qu’ils se désaltèrent – surtout si l’on considère que les pubs anglais manquent de bière en ce moment. Mais ils reviendront à Paris rapidement, sans aucun doute, et nous serons là à nouveau pour célébrer le génie d’Isaac Wood et de sa bande de potes.
Photos : Robert Gil
Texte : Eric Debarnot
Black Country, New Road, casse les codes du rock avec “For the First Time”