[Netflix] Peaky Blinders – Bilan des Saisons 3 à 5

La série phare de BBC et Netflix, fait s’agrandir la capacité d’intrigues de la famille Shelby et donne à voir aux spectateurs les plus blasés, comme votre serviteur, une grande fresque quasi antique. La suite de Peaky Blinders est un mélange de tragédie façon bikers de Sons of Anarchy et esthétique en costumes,  fantasme d’une époque, comme le fut par exemple Mad Men. Les scénaristes n’ont pas chômé et une sixième saison est annoncée.

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En 2016 , le collègue Julien Damien s’attaquait à une des premières séries événements stars de Netflix : Peaky Blinders. Ou la vie romancée des têtes pensantes d’un gang de Birmingham, au sortir de la première guerre mondiale.
La série, dont il se dit que le sujet aurait été inspiré à Steven Knight par l’appartenance d’un aïeul à ce gang qui sévissait à Birmingham, plutôt à la fin du 19e siècle, a marqué depuis les esprits. Parce qu’elle marque le premier essai « réussi » de Netflix d’achat de production au pays des séries européennes, parce qu’elle a inspiré le retour des coupes de cheveux taillées au rasoir chez tout ce que la France compte de footeux et de petites frappes. Parce que pour les non Netflixiens dont je fus, elle inspirait aussi une sorte de sur-esthétisme un peu prétentieux, qui semblait masquer une forme de pauvreté de l’histoire. Tellement Netflixien me disais-je.

peaky-blinders-saison-35 ans plus tard, et à la faveur d’un semi-confinement qui pour moi se prolonge, j’ai avalé les 5 saisons disponibles, alors que BBC vient de confirmer qu’une sixième est bien programmée, malgré le décès de Helen McRory somptueuse tante Polly. La série arriverait début février 2022 et des rumeurs folles vont jusqu’à proposer Julia Roberts au casting

Force est de constater que je suis assez raccord, globalement, avec ce qu’en disait à l’époque mon benzinien collègue, mais plutôt sur l’ensemble des 5 saisons que sur la seule étendue des deux premières.

Oui Cilian Murphy est magnétique, et si il est souvent déroutant de voir débouler des standard rock pendant de long traveling ou slow mo de groupe censés se dérouler dans les années 20 et 30, sa dégaine d’ancien rockeur se marie bien à l’esthétique globale. Effectivement, en plus d’être le pilier de la saga familiale il sert d’IPN à tout le montage narratif. Oui Tom Hardy est bluffant quand il délaisse son personnage d’hôte à un symbiote Marvel pour incarner un mafieux juif haut en couleur. Oui Sam Neil est impressionnant en figure d’autorité d’autant plus perverse quand le gangster ressemble, lui, à un ange.

Et pourtant, en vérité, la saison 1 m’a un peu lassé, et je n’ai entamé la seconde que parce que je trouve les avis de Julien souvent pertinents. Mais, à dire vrai, il faut bien une dizaine d’épisodes en tout pour que les scénaristes commencent à se dire « oh wait mais on tiendra pas 3 saisons si on continue à tourner autour de vendettas locales, de petites trahisons de quartiers, du PTSD post 14-18 des héros, et d’une esthétique léchée sur fond de rock ». A dire vrai, sur les deux saisons encensées par Julien, je continue de préférer la Scorcesienne saga Boardwalk empire située à la même époque, ou l’exotisme du Warrior de China Town par Jonathan Tropper (Andrew Koji acteur de la seconde fait d’ailleurs une apparition dans la saison 5 de PB).

Peaky Blinders – Saisons 1 et 2

Il faut croire que chez à la BBC on a pensé pareil. Et après avoir centré l’intrigue sur la gueule et le charisme des personnages, on s’est mis à élargir l’histoire. Sans trop spoiler ceux d’entre vous qui n’ont pas encore achevé de binger, disons que dès la saisons3, on sort enfin régulièrement de l’unité de lieu (Birmingham / docks de Camden) et de l’unité d’intrigue. Les scénaristes décident de donner de l’ampleur au business de la famille Shelby ce qui procure à la fois des inventivités de scénario et offrant plus de plot twists (ne vous inquiétez pas, cette série ne faillit pas à la règle du genre des années 2010 : oui des personnages pourtant principaux disparaissent), mais aussi plus d’espace pour creuser individuellement le jeu d’acteur des protagonistes au gré des démons qui hantent chacun d’eux.

Paul Anderson « Arthuuur » en frère aîné brisé et dévot de son cadet est vraiment bluffant et se révèle au gré des saisons. Les personnages « secondaires » majoritairement féminins, se déploient. On tombe forcément amoureux de Lizzie (Natasha O’Keefe), prostituée utilisée un peu à son insu dans les premières saisons qui joue impeccablement sa partition en personnage tiraillée entre son destin de femme et son rôle dans une tragédie contemporaine « à la grecque ». Charlotte Riley incarne admirablement une May Carleton éleveuse de purs sangs, insondable, qui accepte de vivre dans l’ombre du regard bleu intense de Thomas Shelby, Gaité Jansen pétille en Grande Duchesse cinglée, Charlie Murphy minaude en syndicaliste investie et ado idéaliste … On sent, d’ailleurs parfois de manière un peu appuyée, que les auteurs ont cherché à rendre un peu moins « macho » une série qui démarrait de manière pour le moins virile. Ca ne marche pas toujours, mais ça élargit toujours la galerie de personnages à côté desquels les masculins Adrien Broody en mafieux italien ou Littlefing… euh Aidan Gillen en gitan à gros bras font un peu figure de seconds couteaux pas toujours aussi crédibles.

Reste que dès la fin de la saison 2 les intrigues se musclent, les scènes violentes aussi et « le by order of the Peaky fooookin blinderchs » devient le gimmick qui appelle le sang. On sort un peu de la dualité « oui ce sont des gangsters, mais ils en ont bavé au front aussi c’est pour ça , faut pas leur en vouloir ils sont amochés par la vie » pour étoffer la psychologie, l’arrivisme, les vices familiaux innés, les erreurs des uns et des autres.

Et effectivement ça marche bien, comme le pressentait Julien. Parce que les producteurs ont l’intelligence d’enrichir la série sans en changer ce qui fit « jadis » applaudir notre chroniqueur : la galerie de personnages, l’esthétique, la BO, l’impressionnant choix des plans, la photo…. De sorte que, en sortant de la stricte guerre des gangs pour un bout de territoire ou une assise locale mais aussi en élargissant le terrain de jeu à la politique, à l’économie des années 20 ou aux idées extrémistes des années 30 de l’après Lundi noir de Wall Street… Ce qui était au démarrage « encore une série de mafia des années 20 » esthétisée en diable pour la génération d’après la mienne, devient une saga qu’on lâche difficilement tant on se plait à se plonger dans le détail des reconstitution des intérieurs, des mécaniques des véhicules, des vêtements, des habitudes de vie (punaise ça clope à chaque plan) mais aussi où l’on prend plaisir à fraterniser avec les frangins Shelby et leurs pièces rapportées.

De fait, c’est une grande réussite comme disait Julien, mais si comme moi les premières saisons vous laissent sur un « ouais, bon bof… » Elle mérite que l’on s’accroche.

Denis Verloes

4 étoiles

Peaky Blinders  – saisons 3, 4 et 5
Série créée par Steven Knight
3 x 6 épisodes de 55 minutes
Diffusion anglaise : BBC 2 2016 à 2019
Diffusion Internationale : Netflix
Diffusion France : Arte en mars 2015 (saison 1).