« Le Coût de la virilité » : homme au volant, mort au tournant !

Après lecture de cet ouvrage, on se demande bien pourquoi le sujet ne fait pas partie des préoccupations majeures des politiques, qui préfèrent bien souvent s’attaquer, c’est plus facile, aux fondements de l’État providence. Comment ne pas être féministe après une telle lecture ? Efficace, inattaquable et passionnant.

© Céline Nieszawer

95,2 milliards d’euros. Près de 100 MILLIARDS ! C’est le coût engendré par la virilité asociale, la virilité ruineuse, celle qui mine les rapports sociaux par sa violence et sa dévalorisation du féminin. Avec cet ouvrage au sous-titre un brin provocateur, Lucile Peytavin s’est employée à compiler soigneusement des données statistiques pour démontrer l’urgence de changer le logiciel patriarcal millénaire. Un livre qui mériterait d’être envoyé à toutes les écoles et les bibliothèques, mais surtout aux candidats à l’élection présidentielle, dont on se demande ce qu’ils attendent pour s’emparer d’un tel sujet, peut-être encore trop avant-gardiste mais néanmoins essentiel !

Le Coût de la virilité – Lucile PeytavinOn a assez peu parlé de ce petit livre passionnant paru il y a près d’un an et cela est fort regrettable, car il dit des choses importantes. Le sujet abordé, le machisme et sa nocivité, est omniprésent dans notre quotidien, il suffit d’observer les comportements sociaux à travers les médias (affaires de harcèlement, représentation de la femme en politique…), ou tout simplement dans la rue (drague relou, frotteurs…), et plus encore sur la route, où la voiture semble être le dernier refuge du mâle alpha. Bien sûr, les choses ont un peu évolué, ne serait-ce que les plaisanteries misogynes du style « Femme au volant, mort au tournant » qui faisaient fureur dans les années 70 mais semblent désormais appartenir à un autre âge. Mais il reste encore beaucoup de chemin à faire.

C’est en rédigeant une thèse sociologique que Lucile Peytavin a eu l’idée d’écrire Le Coût de la virilité. Un chiffre lui a fait prendre conscience de la gravité du phénomène : 96,3 % de la population carcérale est masculine ! Avec cet essai, elle ne s’est pas contentée d’avancer des théories pour démontrer le tort causé par l’injonction généralisée faites aux hommes à se comporter comme des « hommes » et parallèlement, aux femmes à se comporter comme des « femmes ». Et c’est là toute l’intelligence de l’autrice, qui, en évitant toute culpabilisation (elle ne vise pas les hommes mais les comportements virils et asociaux, qui ne sont pas le fait de tous les hommes), s’est appuyée très scrupuleusement sur une pléthore de sources et de données chiffrées. Même si certains faits paraissent évidents (les prisons sont très majoritairement occupées par la gent masculine), on tombe à la renverse lorsque Peytavin donne des chiffres et convertit en argent, de façon très mathématique, toutes les conséquences indésirables de cette virilité. Car il n’y a pas que le domaine pénitentiaire qui est concerné, mais aussi mais aussi quantité d’autres secteurs où l’agressivité masculine joue un rôle prépondérant, impliquant des budgets phénoménaux consacrés aux forces de l’ordre, aux services de secours, à la justice et la santé, sans oublier les coûts humains et matériels, les traumatismes engendrés par la violence (et pas seulement conjugale) la maltraitance, l’insécurité routière, la liste est longue…

D’un point de vue plus scientifique, basé sur des études biologiques, archéologiques, paléontologiques et sociologiques, Lucile Peytavin remet en cause nombre d’idées reçues, acceptées par les deux sexes, selon lesquelles les hommes seraient voués à des fonctions dominantes. Or les études montrent que la femme, au temps des cavernes, n’était pas cantonnée à des rôles mineurs et avaient autant d’influence que les hommes ; participant même à la chasse. Mais la puissance masculine a fini par s’imposer au néolithique, en même temps que se creusèrent les inégalités sociales, avec pour levier la religion, la politique, la philosophie et la science. Même au siècle des Lumières, Rousseau prônait une stricte différenciation dans l’éducation entre femmes et hommes.

Lucile Peytavin parle ici principalement de la situation en France, mais extrapole sur quelques paragraphes les effets de cette virilité à l’échelle planétaire, dont le coût (guerre, terrorisme…) équivalait à 11,2 % du PIB mondial en 2018, soit 1.853 dollars par an et par personne ! Et même les questions écologiques n’échappent pas à ce qu’il faut bien appeler un fléau, des études ayant démontré le lien entre valeurs viriles et non-respect de l’environnement.

Le gros point fort de cet ouvrage, c’est l’argument des chiffres. On pourra débattre sans fin sur le sujet selon son point de vue, discuter des prétendues études sur un passé lointain, mais les données statistiques, on ne peut guère les contester, elles sont là comme un miroir qu’on ne peut briser. Personne, après une telle lecture, ne pourra contester que la virilité est extrêmement toxique… à part bien sûr Madame Thatcher… et aujourd’hui « Monsieur Zemmour »… Reste que comme le dit Lucile Peytavin, « La virilité est un ennemi difficilement saisissable », et que pour cette même raison, nous tous, par des réflexes ancestraux qui nous paraissent naturels, nous en sommes à la fois les victimes (y compris les hommes) et les complices, souvent innocents (les parents qui privilégient les jouets dits genrés pour leurs enfants par exemple…).

Quelles solutions propose l’autrice ? Très simplement, sans demander que les hommes s’habillent comme des femmes et vice-versa, elle nous exhorte à modifier notre « rapport au monde et en questionnant les modèles et valeurs qu’il transmet à tous les futurs adultes », à mettre fin à cette virilité asociale qui dévalorise le féminin, cette virilité « qui viole, qui bat, qui tue, qui écrase, la virilité qui ruine. » Et tout cela commence bien sûr par l’éducation.

Laurent Proudhon

Le Coût de la virilité
Essai de Lucile Peytavin
Éditeur : Éditions Anne Carrière
206 pages – 17,50 €
Parution : 5 mars 2021