Mitski – Laurel Hell : pop, beau et intéressant !

Mitski (Miyawaki) n’en finit plus de grimper. Après le très acclamé Be the Cowboy en 2018, la revoici avec Laurel Hell,  un album encore plus beau et plus sophistiqué. Une musique enlevée et souvent enjouée mise au service de paroles sombres, presque désespérées. Irrésistible.

Mitsky – Laurel Hell

2018 : Be the Cowboy, le précédent album de Mitski (Miyawaki) est au sommet. Meilleur album de l’année pour Consequence, Flood, Vulture et Pitchfork ! Numéro 2 du classement de NPR et du New York Times ! Pour son 5ème album, Mitski sort de l’ombre de l’indie pop. Elle triomphe, y compris dans une tournée qu’elle termine lors du Summerstage festival à Central Park, une soirée qu’elle partage avec Lucy Dacus — le même soir, lors du même festival se produisait Morrissey and Interpol au Forest Hills Stadium, The Raconteurs au Kings Theatre et Weyes Blood au Webster Hall. Excusez du peu… Et c’est à ce moment-là qu’elle annonce qu’elle met sa carrière entre parenthèses « indéfiniment » ! Rétrospectivement, elle reconnaît même avoir pensé que ce serait son dernier concert, « the last show I would perform ever, and then I would quit and find another life ». Après 5 ans sur la route, elle était perdue, allait se perdre elle-même. Il lui fallait prendre du recul. Mais assez rapidement, Mitski est revenue. Fin 2019 elle écrit Working for the Knife, puis les morceaux s’enchaînent, révisés et modifiés plusieurs fois — avec l’aide de The XX, avec qui elle travaille depuis toujours. Pour finalement arriver à cet album, son 6ème donc, Lauren Hell. Un album très attendu, et qui semble d’ores et déjà s’annoncer comme un succès !

mitski laurel hellSi succès il y a, ce sera compréhensible car voici 11 morceaux qui peuvent quasiment tous passer en boucle sur quasiment n’importe quelle radio et déclencher chez l’auditeur un mouvement d’adhésion quasiment instantané. 11 morceaux qui souvent lorgnent vers la pop la plus sautillante et la plus entraînante des années 1980 — jusqu’à A-ha ou Flashdance sur les excellents The Only Heartbreaker ou Love Me More ou Should’ve been me — et avec même des échos d’Abba, Dancing Queen que l’on peut deviner dans les cuivres et les violons That’s our lamp qui termine l’album sur une note sucrée, gaie, dynamique. Beaucoup de dynamisme dans ces 11 morceaux, beaucoup de rythme – encore les années 1980 –, un piano omniprésent, des mélodies imparables – vraiment irrésistibles –, des compositions sophistiquées. Pas mal de morceaux plus lents, malgré tout, et très introspectifs — comme les remarquables Working for the Knife ou Heat Lightning, ou même sur I Guess. Et, au milieu, entre ces morceaux complexes et riches, comme des respirations, se trouvent des morceaux plus calmes, sobres et dépouillés – Valentine, Texas qui ouvre l’album ou sur Everyone. Tellement de bons morceaux qu’il est difficile de faire son choix… Donc, si succès il y a, ce sera amplement mérité.

Le côté punchy, enlevé, entraînant de la plupart des compositions de Mitski ne doit pas faire oublier que cet album a une face sombre. Le titre de l’album, qui est le nom d’une plante que l’on trouve en particulier dans les Great Smoky Mountains (Caroline du Nord, Tennessee), le mountain laurel qui est toxique et forme des taillis impénétrables. Et puis, surtout, il y a les paroles de la plupart des, pour ne pas dire tous les morceaux qui un tour inattendu à ces morceaux pop… D’ailleurs, l’album et Valentine, Texas s’ouvre avec cette « Let’s step carefully into the dark/Once we’re in, I’ll remember my way around ».

Le ton est donné.

Working by the knife continue dans la même veine, Mitski nous confiant, par exemple, « I always knew the world moves on/I just didn’t know it would go without me ». Perdue dans ce monde difficile, celui de la musique et des médias, où on ne peut se faire une place qu’en se battant au couteau. Le côté émouvant des paroles est ici renforcé par les belles inflexions que Mitski arrive à mettre dans sa voix. Et ce n’est pas l’amour et les relations avec les autres qui aident… « Open up your heart » demande-t-elle sur Stay Soft… « like the gates of hell ». Pourtant elle demande, elle supplie : « I need you to love me more » répète-t-elle sur Love Me More, « Love me more, love me more/Love enough to clean me up ». Mais ça ne marche pas forcément. Sur le très enlevé That’s Our Lamp, les envolées de cuivres ne masquent qu’un amour désenchanté : « We fought again, I run out of the appartment/You say you love me, I believe you do but I walk up and down, and up and down, and up and down the street ‘cause you just don’t love me. » Le côté sombre de la pop. Mais quelle belle pop !

2018 : Be the Cowboy faisait un malheur. 2022 : Laurel Hell fera un malheur. Parions-le !

Alain Marciano

Mitsky – Laurel Hell
Label : Dead Oceans
Date de parution : 04 février 2022