Jack White – Fear of the Dawn : hard rock et dérapages incontrôlés

Deux nouveaux albums de Jack White sont annoncés pour 2022. Le premier, Fear of The Dawn, marque un certain redressement par rapport à son triste prédécesseur, mais se perd quand même souvent en fausses expérimentations et en effets bizarroïdes gratuits.

Jack White
Photo : Sara Paige

Il faut bien admettre, avec 4 ans de recul, que le précédent album de Jack White, Boarding House Reach, était mauvais. Très mauvais même. Et qu’on avait été bien indulgent à sa sortie, sans doute parce que les White Stripes avaient volé tellement haut qu’il était inacceptable de reconnaître que le grand Jack White pouvait se planter aussi gravement. Il y a une bonne et une mauvaise nouvelle avec ce Fear of the Dawn, annoncé comme le premier album solo de Jack en 2022 : la bonne est qu’il est meilleur que son prédécesseur, grâce à un retour à des compositions plus digestes, et à une rage et une violence bien sympathiques. La mauvaise est que la plupart des dérives de Boarding House Reach réapparaissent quasiment inchangées : un excès souvent irritant de synthés et d’effets électroniques, et même des dérapages qu’on pourrait presque qualifier de prog rock, soit un comble quand même pour l’homme qui avait sauvé le Rock en réintroduisant la guitare électrique au cœur du nouveau siècle, et en professant un mélange touchant d’artisanat et d’urgence.

Fear of the DawnFear of The Dawn commence très fort, avec ce Taking Me Back bien « white-stripien » qui nous avait déjà été dévoilé en octobre dernier. Fear of the Dawn (la chanson) et The White Raven poursuivent dans le même registre de brutalité quasi heavy metal, avec des poussées de rage bienvenues : elles ont l’intelligence de ne pas dépasser le format parfait des deux minutes de furie. Bref, on se réjouit déjà, en dépit – on l’a déjà précisé – d’effets sonores envahissants, mais on va vite déchanter : Hi-De-Ho mélange une intro « world music », un passage rappé – de manière sympathiquement traditionnelle – par Q-Tip et une mélodie plutôt stupide, pour un résultat ni désagréable, ni vraiment convaincant. Eosphobia (soit littéralement « la peur de l’aube », en termes scientifiques…) retrouve la veine expérimentale de Boarding House Reach, mais White tente de redresser la barre avec un bon riff de guitare et des vocaux inspirés, jusqu’à un final psyché West Coast qui donne surtout l’impression de faire feu de tout bois, sans ligne directrice claire. Into the Twilight est probablement le pire morceau de Fear of The Dawn, un collage occasionnellement ridicule de sonorités et d’ambiances très différentes, qui ne font réellement aucun sens une fois assemblées : 4 minutes 41 secondes qui semblent interminables et donnent envie d’en rester là.

Après l’interlude de Dusk, What’s the Trick? revient aux influences ledzeppelinesques que l’on aime bien dans la musique de Jack, même si la chanson aurait, elle aussi, gagné à être épurée d’excès formalistes qui lui nuisent : finalement, pourquoi vouloir à tout prix paraître étrange, bizarre, quand on s’appelle Jack White, et qu’on sait composer à la perfection de simples brulots de hard rock seventies / sudistes ? That Was Then, This Is Now poursuit à peu près dans le même registre, mais sur un mode plus mineur : le genre de morceau sans vraie personnalité que les artistes ont toujours placé dans le ventre mou de la seconde face. Et on n’avait nul besoin à ce stade de s’avaler une reprise d’Eosophobia, mais c’est pourtant ce qu’on nous impose à ce stade !

Morning, Noon and Night se situe heureusement à l’opposé des prétentions un peu ridicules d’Eosophobia, un morceau sans âge, qui nous renvoie au garage 60’s avec un son d’orgue millésimé et un bon groove : on se dit que les Fleshtones en feraient une tuerie, mais Jack White est finalement trop bon élève pour pousser jusqu’à l’évidence que ce genre de chanson appelle. Et puis, elle fait une bonne minute de trop, avec une conclusion paresseuse et inutile ! On se quittera donc avec un Shedding My Velvet qui a l’immense avantage d’être plus dépouillé que ce qui a précédé, et d’introduire des sentiments un peu plus humains en conclusion d’un album qui sonne quand même souvent comme une BO de jeu vidéo décérébré.

Nous n’avons pas parlé ici des textes, tant Jack White n’a jamais été un parolier particulièrement intéressant, ce qui ne veut pas dire qu’il ne sait pas tourner çà et là de jolies phrases comme « I’m using appropriate compression for / My inappropriate confessions for / Someone I guess who might need it more / I don’t even know what I am doing it for » (J’utilise une compression appropriée pour / Mes aveux inappropriés pour / Quelqu’un qui je suppose pourrait en avoir plus besoin / Je ne sais même pas pourquoi je le fais) sur What’s The Trick, ou comme « A neutral peace comes from painted pieces / A brutal feast on the tainted beasts and / A white machine gun, a white machine gun / Baby blue grenade, a shade of kelly green machine gun » (Une paix neutre vient de pièces peintes / Un festin brutal sur les bêtes contaminées et / Une mitrailleuse blanche, une mitrailleuse blanche / Une grenade bleu bébé, une nuance de mitrailleuse vert kelly) : ça ne veut absolument rien dire, mais ça sonne bien. Au moins en anglais…

Eric Debarnot

Jack White – Fear of the Dawn
Label : Third Man Records
Date de parution : 8 avril 2022

Jack White en mode brouillon avec “Boarding House Reach”