« La fille unique », de Avraham B. Yeshohua : un roman lumineux et humaniste

Le grand écrivain israélien Avraham B. Yeshohua revient avec La fille unique, un nouveau roman qui parle de l’importance de la religion dans nos sociétés et sur la nécessité de penser aux êtres humains, avant tout.

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Rachele Luzzato est une pré-adolescente qui vit dans une ville Italienne près des montagnes et pas loin de la mer (mais qu’Avraham B. Yeshohua rend, pour une raison ou une autre, impossible à identifier). Rachele est la fille unique des parents (très) aisés et, semble-t-il, la petite fille unique de grands-parents pas non plus dans le besoin (ce qui n’est pas neutre dans le roman). Elle va dans une école qui selon toute vraisemblance est catholique (là encore, l’auteur ne dit rien explicitement). Et nous faisons sa connaissance à la veille des vacances de Noël, au moment où se produisent deux événements qui vont la bouleverser.

la-fille-uniqueD’abord, on demande à Rachele de jouer la Vierge Marie dans le spectacle de fin d’année de son école. Sa beauté resplendissante, ses boucles noires et son teint mat ont convaincu ses enseignants qu’elle serait parfaite pour jouer le rôle la mère du Christ. D’autant qu’elle est de confession juive. Historiquement, cela aurait pu avoir du sens. Dans le contexte actuel, c’est moins évident. C’est d’ailleurs ce qu’il semble à son père. Pour lui, c’est l’histoire contemporaine qui compte, pas celle d’il y a 2000 ans :  ! « Vous nous avez massacré suffisamment de juifs, aussi n ‘essayez pas de nous voler nos rares survivants. ». Il refuse. Une déception pour Rachele, qui n’a toutefois pas le temps d’encaisser qu’une deuxième bombe explose dans sa vie : son père est gravement malade – il se fera d’ailleurs opérer à la fin du roman. On lui demande de ne pas trop fatiguer son père ! De quoi s’agit-il ? Pourquoi faut-il avoir peur de ce qu’elle appelle un « supplément » au cerveau ? L’expression fait sourire, mais personne ne répond ni ne lui explique ce qu’est une tumeur.

Que comprend Rachele de ces deux événements ? Avraham B. Yeshohua ne dit rien de manière claire et explicite. Il n’est guère démonstratif. Il nous laisse (essayer de) comprendre ce qui se passe, comment Rachele absorbe tout cela en nous racontant, simplement, ses vacances. En apparence, ce sont des vacances normales, banales avec avec un repas avec ses grand-parents maternels, des cadeaux, un séjour à la montagne et du ski, une fête avec sa grand-mère pour la fin de l’année… Pourtant rien n’est vraiment comme d’habitude. Procédant par petites touches, glissant des moments étranges, des imprévus qui se transforment en épreuves, Avraham B. Yeshohua nous fait sentir le bouleversement que Rachele vit. Au fil du roman et au fil de vacances où tout va de travers, Rachele prend conscience de la complexité et de la difficulté de la vie. Pour une pré-ado, même vivant dans l’opulence, ce n’est pas rien !

Mais ce n’est pas le propos principal du livre. La fille unique n’est pas qu’un roman d’apprentissage. Avraham B. Yeshohua fait aussi passer un message fondamental sur le rôle de la religion. Cela se comprend facilement. En particulier du fait que l’un des acteurs principaux de La fille unique soit l’écrivain Italien Edmondo de Amicis dont le roman Cuore (1866) est longuement cité par Avraham B. Yeshohua. Cuore, un roman pour enfant, bien connu pour son côté moralisateur et bien pensant mais aussi pour plaider pour une religion laïque et civique. Avraham B. Yeshohua reprenne ce propos à son compte : la religion, si présente de nos jours, est un obstacle à des relations pacifiées ; pensons à l’autre, en dehors de ses croyances et convictions religieuses… un propos qui n’est pas si étonnant, quand on connaît les autres romans de cet immense écrivain Israélien.

Alain Marciano

La fille unique
Roman Israélien de Avraham B. Yehoshua
traduit par Jean-Luc Allouche
Éditeur : Grasset
19 euros, 208 pages
Parution : 25 Mai 2022