[Interview] Melaine Dalibert (2/2) : « le piano est l’instrument de la suspension »

Le pianiste et compositeur rennais Melaine Dalibert a sorti au tout début du printemps 2022 le magnifique Shimmering chez l’excellente collection Mind Travels, sous-structure du label nancéen Ici D’Ailleurs. Avec cet échange que nous vous invitons à découvrir, entrons dans ce qui fait la création musicale, dans ce qui se nourrit du doute, des lectures, de la découverte, d’une curiosité et d’une générosité de l’autre. Entrons dans le cerveau d’un créateur qui crée un dialogue entre nous et un autre monde, le monde délicat et chaleureux de Melaine Dalibert.

© Suan Lin

Travailler dans le domaine de la surprise comme je le présuppose favorise-t-il selon vous l’émergence de l’inconscient ?

Melaine Dalibert : Dans la musique, dans les choix que l’on effectue quand on écrit une pièce, certaines sont marquées par un déterminisme très clair. Quand je compose de manière algorithmique, je réduis cette réaction de l’inconscient car une fois que cet algorithme est construit, la musique qui va être partagée est une musique qui s’autoproduit. Je ne suis donc plus actif dans l’écriture, cette musique se déroule d’elle-même. Par contre pour la personne qui reçoit la musique, je pense que l’on a tous fait l’expérience de se laisser surprendre par les impressions qui peuvent surgir. Le moment de l’écoute est, je pense, un moment propice pour laisser ressortir des émotions enfouies. La musique et l’inconscient ont beaucoup de liens communs certainement.

Vous avez un long parcours de conservatoire derrière vous. Quelle a été l’œuvre musicale déjà existante qui vous a permis de trouver votre identité propre d’instrumentiste ?

Melaine Dalibert : Ce serait trop simple de répondre telle ou telle œuvre, c’est un peu plus l’idée de la goutte d’eau qui fait déborder le vase. J’ai été baigné dans les vinyles de mon père. Il y a ensuite mes années d’apprentissage au Conservatoire, c’est souvent fastidieux au début car le répertoire que l’on apprend n’est souvent pas très passionnant, on apprend surtout à se faire une technique puis progressivement on commence à avoir un peu de maîtrise de jeu, on commence à toucher du doigt des œuvres du répertoire. Comme une sorte de révélation, il arrive un moment où l’on rencontre une œuvre qui cristallise toute une somme d’efforts et qui nous  fait réaliser que les choses sont plus profondes qu’on ne le pensait. Je sais que dans ma période d’apprentissage, j’ai connu de grands moments de découragement et de désamour avec la pratique musicale, des instants où j’ai vraiment voulu arrêter le piano car je voyais cela comme une contrainte et puis tout d’un coup on travaille une pièce et on se dit que c’est une expérience géniale de se plonger dans une œuvre.

Pour moi, cela a été le Concerto En Sol Majeur de Maurice Ravel que mon professeur m’a fait travailler quand j’avais quinze ans. C’est vraiment une œuvre à laquelle mon esprit s’est agrippé et grâce à laquelle j’ai vraiment ressenti une émotion très profonde dans ma pratique d’instrumentiste, ce qui n’a rien à voir avec le plaisir de l’auditeur que je peux être également. Jouer du piano a pris sens pour moi à la période où je travaillais cette œuvre de Ravel. C’est sans doute lié à la richesse harmonique de ce Concerto, le raffinement de son écriture, tout cela avec l’âge que j’avais à l’époque. La bonne rencontre au bon moment.

Quand on lit les différentes interviews que vous avez données, il revient plus souvent la citation d’artistes plasticiens comme influences de votre travail de compositeur. En quoi, l’image est-elle un moteur créatif pour vous et en quoi la peinture est-elle si proche de votre perception de la composition ?

Melaine Dalibert : Je veux juste un peu relativiser le propos en rappelant que je pourrais citer de nombreux musiciens comme influences dans mon travail de compositeur mais à un moment donné, au début des années 2010, quand l’écriture musicale commençait à devenir une véritable obsession pour moi, j’étais vraiment en proie à des difficultés et à une insatisfaction dans ma manière d’écrire. Ecrire de la musique, cela commence forcément par avoir une idée musicale et la développer pour que cela prenne du corps et du temps (Rires). J’étais en grandes difficultés, je me trouvais à chaque fois dans des impasses.

C’est vraiment le moment de ma rencontre avec le travail de Vera Molnár et François Morellet par la suite qui ont fait ce choix artistique de travailler avec des systèmes, c’est-à -dire des algorithmes, une forme de pensée programmatique qui consiste à mettre en œuvre dans une pièce artistique une suite d’opérations rationnelles et c’est vraiment par ce choc visuel avec la découverte de cette pièce de Vera Molnár Hommage à Monet (1981-1983) que je crois avoir trouvé un moyen d’expression qui m’est propre.

C’est une suite de tableaux comme une déclinaison ou si vous préférez un thème et variations sur Impression Soleil Levant de Claude Monet. J’ai été saisi en voyant ces pièces et j’ai réalisé que j’allais pouvoir travailler autrement. Cela a été pour moi une sorte de clé qui a permis de déverrouiller un mode d’expression que je sentais en germe chez moi, j’ai regagné confiance dans mes envies de compositeur. J’ai subitement compris que ma sensibilité, mon orientation esthétique, était programmatique, liée aux ambiguïtés permutationnelles, que je n’étais pas vraiment en quête de narration mais plutôt attiré vers une certaine représentation dédramatisée du chaos.

Quand vous parlez de Shimmering, vous le distinguez de vos autres œuvres plus radicales par son approche plus Pop. De quelle envie est né Shimmering ?

Melaine Dalibert : J’ai toujours eu conscience que ma manière d’appréhender la composition depuis les années 2010 à travers ma découverte des algorithmes était à la fois une libération qui m’a permis de faciliter mon écriture et en même temps c’est un outil qui est tellement fort qu’il peut être enfermant et réducteur. Je n’ai pas voulu m’enfermer dans l’idée que je ne ferai que de la musique systématique. Ce n’est pas l’unique solution pour faire de la musique, il s’est avéré qu’après dix ans de cette expérience, j’ai pu renouer avec l’envie de faire une musique plus intuitive, de manière plus directe. C’est comme éprouver une autre technique. Par exemple, un peintre ou un artiste plasticien peuvent se consacrer à une certaine technique, l’huile par exemple pour se tourner ensuite vers l’aquarelle. On bascule dans un autre mode d’expression. La composition algorithmique c’est une technique. J’ai aussi pratiqué de la musique improvisée en free-Jazz, j’ai eu ces expériences avec le batteur Will Guthrie, avec mon frère saxophoniste Elie Dalibert, le contrebassiste Joachim Florent mais aussi le guitariste Manuel Adnot.

Je pense que j’aurais dépéri si je m’étais enfermé dans la seule composition algorithmique. C’est quelque chose que je n’abandonne pas du tout, d’ailleurs j’ai des projets en cours mais c’est dans mon caractère, j’aime avoir une expression plurielle. C’est venu naturellement. Est-ce que c’est dû à la période de confinement dans laquelle est né Shimmering ? Peut-être, c’est même probable que les évènements extérieurs ont joué mais je ne saurais l’expliquer.

Vous parlez souvent d’éveil par rapport à votre musique. Qu’entendez-vous par cela ?

Melaine Dalibert : Pour moi l’éveil, ce serait un état dans lequel on accepte de se laisser surprendre par ses émotions, où l’on est prêt à vivre l’expérience. C’est un moment où l’on oublie les certitudes. Je considère que le but de l’art n’est absolument pas de délivrer un message au sens informatif. Ce qui intimide certains à l’approche des œuvres, c’est d’être limités dans leur capacité à les comprendre, à les interpréter. Or si certaines œuvres sont chargées de contenu symbolique, leur première vocation est de susciter l’émotion, un état qui n’a rien à voir avec la compréhension. L’éveil, c’est pour moi cette aptitude à se laisser surprendre sans apriori.

Ce qui est immédiatement remarquable à l’écoute de votre musique c’est la mise au premier rang de l’émotion loin d’une idée uniquement cérébrale que l’on pourrait se faire de la musique dite expérimentale . Qu’en pensez-vous ?

Melaine Dalibert : C’est toujours délicat pour moi de parler d’émotion musicale. C’est vraiment une affaire d’intimité. Je ne cherche pas par ma musique à traduire une émotion précise. La seule émotion qui prévaut quand j’écris de la musique c’est la sincérité. Lorsque je suis dans l’écriture d’une musique, la seule chose que je questionne c’est la sincérité de mes impressions c’est-à-dire « Est-ce que je suis satisfait par ce que je suis en train d’écrire ? Est-ce que cela me plaît ? Oui ou non ? ». C’est la seule émotion qui me guide. Après dire si un morceau va susciter de la tristesse ou que sais-je ? La palette est large. Cela ne m’appartient pas. Encore une fois, l’émotion qui va se produire quand une musique rencontre un auditeur, cela a tellement à faire avec des facteurs croisés, avec des circonstances variables, cela ne m’appartient pas. Ce qui est sûr, c’est que je pense faire de la musique avec une profonde sincérité. Quand j’écris une pièce, je ne cherche pas à provoquer quelque chose et encore moins à répondre à une attente.

L’émotion que pourrait provoquer ma musique ne m’appartient évidemment pas. C’est l’affaire de chacun et j’aime évoquer ce bon mot de François Morellet qui disait que les œuvres d’art sont comme « des coins à pique-nique » : on y consomme ce que chacun emporte avec soi. Je ne doute pas que certains soient émus devant un concert de 100 métronomes avec autant de sincérité que d’autres devant une messe de Mozart ou une chanson de Lady Gaga. Pas certain que ce soit question de cérébralité !

Expérimenter pour vous, ce ne serait pas nécessairement rechercher à tout prix l’inédit mais plus la beauté dans ce qu’elle propose de susceptible de résister à l’épreuve du temps, d’harmoniser le monde peut-être non ?

Melaine Dalibert : Il faudrait être un peu mégalomaniaque pour imaginer que l’on puisse harmoniser le monde à travers une pièce musicale fusse-t-elle de qualité. Pour moi, la musique est un art qui crée une situation qui est vraiment originale, qui consiste à se dire qu’il y a une musique émise par un instrumentiste, parfois cela peut être un compositeur mort depuis longtemps qui est ressuscité d’une certaine manière par un interprète, la musique est reçue par un auditeur dans un contexte qui, de toute façon, est présent. C’est-à-dire qu’à chaque fois qu’une musique se manifeste c’est dans un contexte différent. C’est une chose que je rappelle souvent à mes élèves, c’est que la différence entre une musique et une œuvre visuelle c’est que quand on est face à une œuvre visuelle, on a la manifestation et presque la preuve que l’art est là devant nous. Ce qui est formidable avec la musique c’est qu’une œuvre musicale  dans sa globalité n’existe pas puisqu’elle est éphémère et se déroule dans le temps. Le T 0 d’une œuvre, lorsque l’on arrive à la fin d’une œuvre, le début à déjà disparu dans le passé.

Quelque part, la musique est un art qui nécessairement engage notre mémoire. Si la mémoire de l’auditeur n’opère pas, l’œuvre n’existe pas. Sinon, c’est juste une suite d’instants présents et pour que cela devienne une œuvre, il faut qu’il y ait le ciment qui est la mémoire opérante de l’auditeur. Il y a quand même quelque chose de très mystérieux dans la réception de la musique. Elle nous donne quelque part l’impression que le temps peut devenir une matière organique. Je crois que c’est pour cela que la musique a cette aura un peu énigmatique, cette musique des sphères. Lorsque l’on écoute de la musique, on devient la musique. C’est une manière d’être au monde et d’être relié à travers le temps avec l’environnement et notre condition. C’est quelque chose d’absolument merveilleux quand on y pense. Je crois que lorsqu’on écoute de la musique, on est dans un état de conscience plutôt harmonieux. Quand on écoute de la musique avec profondeur et intensité, on fait et on vit une expérience, une expérience du temps, dans le temps et notre mémoire nous fait échapper à la fugacité du temps.

J’abonde dans votre sens mais j’ai envie de joindre à votre idée de la musique comme art de la mémoire cette notion d’art de la mémoire multiple, mémoire collective peut-être. Dans cette mémoire multiple, il y a l’auditeur et tous les auditeurs qui l’ont précédé dans la découverte d’une œuvre, l’ensemble des interprètes qu’il y  a pu avoir par exemple d’une œuvre classique, la mémoire du compositeur dans un autre espace-temps. Par exemple, Bach a évolué durant sa carrière mais aussi par-delà sa mort dans l’approche de son répertoire avec l’émergence de nouveaux instruments comme le piano par exemple.

Melaine Dalibert : Absolument, la musique est une sorte de raccourci spatio-temporel. On pourrait employer du lexique de science-fiction mais c’est vrai que la musique peut instantanément nous faire ressusciter des temps immémoriaux, que ce soit à travers des madrigaux, des musiques tribales ou des pièces modernes. Il y a quelque chose de très reptilien dans notre perception de la musique, cela nous renvoie presqu’à notre condition animale. Effectivement, je pense que la musique active des parties de notre cerveau qui sont très profondes. C’est la mémoire collective, c’est d’ailleurs intéressant de voir que les personnes qui souffrent d’Alzheimer oublient beaucoup de choses, à l’exception des mélodies de leur jeunesse. C’est un outil extrêmement puissant la musique, de la même manière, on retient beaucoup plus facilement les tables de multiplication en les chantant. Elle porte la magie en elle.

Emil Svanängen de Loney Dear parle dans une interview qu’il a accordée à Benzine Magazine du piano en ces termes  : « D’une certaine manière, c’est vrai que le piano est un non-instrument. Prenons l’exemple d’un artiste qui peint à l’encre, telle personne qui verra le tableau dira « Pourquoi est-ce peint en noir et blanc ? Cela ne ressemble pas à la réalité car la réalité est colorée » alors que telle autre verra le contraste entre l’encre et le papier blanc. C’est un peu pareil avec le piano. Le piano, ce n’est pas l’orchestre, ce n’est pas le groupe, c’est un archétype de la Musique, c’est presqu’un symbole de la musique. C’est un instrument qui sonne merveilleusement, c’est peut-être l’instrument qui symbolise le mieux cette fameuse note bleue. Le piano est en soi une partition écrite, c’est un non-instrument quelque part comme le noir n’est pas une couleur ou le blanc, c’est peut-être un instrument noir et blanc. Un de mes héros c’est le pianiste de jazz suédois Jan Johansson. Il jouait de vieilles chansons folk en y ajoutant une vraie touche Jazz, il a toujours eu un son absolument singulier au piano comme si son instrument parlait, cette manière qu’il avait de ne toucher qu’une seule note. Il disait que pour lui, peu importait qui pressait la touche, le son sortait toujours de la même manière, peu importait le musicien qui jouait de ce piano. L’interprétation au piano n’est qu’un acte physique par la pression des doigts. » Qu’en pensez-vous ?

 Melaine Dalibert : Oui, Daniel Barenboïm dit d’une autre manière que le piano est l’instrument de l’illusion, celui qui par la certaine uniformité de son timbre se prête au mieux à la suggestion de tous les autres instruments. C’est un phénomène bien fascinant, que le même piano puisse sonner si différemment selon les musiciens qui le jouent. Un objet mécanique qui peut être un formidable révélateur de l’unicité de chacun.

Le piano c’est un instrument à percussions, ce sont des marteaux qui frappent des cordes et quelque soit le registre les assènent toujours différemment. C’est un instrument qui, du point de vue du timbre, offre une certaine neutralité contrairement à des instruments comme le violon, la flute ou la clarinette qui sont des instruments qui peuvent avoir une richesse de timbre bien plus développée.

C’est un instrument qui, par sa neutralité et son large ambitus, peut permettre une synthèse. Avec un piano, on peut presque jouer comme un orchestre. Par contre, ce que le piano offre et qu’il est le seul à permettre, c’est sa richesse de résonance. Une fois que la corde est frappée, il y a tout un halo harmonique qui peut être très long et qui a une couleur très boisée, liée à la facture de l’instrument. Pour moi, le piano est l’instrument de la suspension. C’est en cela qu’il m’intéresse. Il m’intéresse beaucoup plus comme instrument résonant que comme instrument permettant la virtuosité mécanique. C’est cette très longue résonance boisée qui nous place en situation d’apesanteur. Une fois que l’on a attaqué la touche, il n’y a  plus rien à faire techniquement, le son est défini et va se dérouler de lui-même contrairement au violon, ou  si l’on attaque la corde, le mouvement d’archet va transformer le son. Au piano, on a juste cette résonance et on est obligés de s’y abandonner. Ce qui m’intéresse et passionne dans le piano c’est son potentiel résonateur et ce lâcher-prise.

Je ne manque pas faire un rapprochement avec une autre passion que j’ai qui est la course à pied. Il n’y a pas une journée qui se passe sans que je n’aie pas au moins couru une dizaine de kilomètres et je ne sais plus qui faisait remarquer fort justement que lorsqu’on court pendant une heure, on est quasiment pendant une heure en train de voler car nos pieds à chaque foulée ne touchent le sol qu’une fraction de seconde, tout le reste du temps, on est en l’air. Je ne sais pas ce qui m’attire le plus, le vol plané de la course à pied ou la résonance du piano (Rires)

Vous avez travaillé avec David Sylvian, qu’avez-vous appris de cette collaboration ?

Melaine Dalibert : Je ne sais pas ce que j’ai appris de cette collaboration car pour être clair, cette collaboration s’est faite à distance. Je n’ai jamais rencontré David en personne mais nous avons pas mal échangé tous les deux. J’aimerais beaucoup à l’avenir travailler avec lui de manière plus étroite. J’ai surtout le sentiment que sa musique, comme tant d’autres, a infusé en moi durant ces dernières années.  Concrètement, il a accompagné mon travail ces dernières années par son écoute, il m’a fait régulièrement part de ses ressentis sur ma musique qu’il semble apprécier mais jamais David Sylvian ne donnera de conseil, cela ne lui ressemble absolument pas. Il s’en garderait bien, je pense que c’est quelqu’un qui aime se laisser surprendre, c’est ce que nous avons en commun d’ailleurs. Il accueille les musiques des autres de manière très ouverte.

Evidemment, j’ai tiré une grande joie au fait qu’il ait accepté d’agrémenter deux de mes pièces figurant sur l’album Night Blossoms de textures électroniques comme pour souligner ou prolonger certaines résonances. On a aussi en commun cette idée de lâcher-prise face au contrôle que l’on peut avoir dans sa propre musique, il est dans une recherche de la couleur, du timbre et du son.

David Sylvian, pour parler de votre musique dit ceci :

 Des ondes vibratoires traversant l’univers, un satellite solitaire, libéré de l’attraction gravitationnelle de la terre, filant à l’infini dans l’obscurité lumineuse. Je lui attribuais une migration quelque peu solitaire. Non pas malgré, mais grâce à cela, j’ai trouvé que c’était une expérience d’écoute profondément émouvante, comme une expansivité cosmique.

 Que trouvez-vous de commun dans vos travaux respectifs et comment expliquez-vous cette notion d’expansivité cosmique ?

Melaine Dalibert : C’est une expression qui illustre ce sentiment que l’on a parfois en écoutant des musiques, qu’il y a une sorte de chemin et de quête. Cette expansivité qui renvoie plutôt à l’idée d’une force centrifuge, je me dis que l’on pourrait l’analyser à l’inverse. Je crois que ma musique invite à une concentration de l’écoute. Dans ma musique, il y a souvent ces formules un peu giratoires, qui tournent autour d’elles-mêmes comme des toupies musicales. Cela évoque peut-être une sorte de mouvement planétaire. Ces formules répétitives m’évoquent plus une notion de concentration plus qu’une expansion. Des mouvements contraires, et par là même, associés.

Cette voie plus Pop que vous proposez avec Shimmering ne sera-t-elle qu’une parenthèse dans votre parcours ou souhaitez-vous poursuivre dans ce sens de réalisation ?

Melaine Dalibert :  Je continue d’explorer cette voie que je qualifie de plus intuitive sur des formats courts qui sont proches de pièces Pop. Je ne m’interdis pas d’aller vers la chanson. C’est quelque chose qui me questionne beaucoup, la voix est pour moi l’instrument par excellence qui est vecteur d’émotions très fortes. Je n’exclue pas du tout d’y avoir recours, ce ne sera pas la mienne car ce n’est pas du tout mon instrument (Rires) mais le chœur est un médium qui m’attire énormément. Je pense que dans les années à venir, je vais très certainement m’intéresser à l’écriture vocale pour chœur avant d’aller peut-être vers la chanson. L’orgue aussi m’intéresse beaucoup, il offre des possibilités de tenue de note contrairement au piano où le son se réduit et se perd, l’orgue offre ce son continu qui m’intéresse beaucoup. Il y aura également des suites dans ce registre-là. En tous les cas, à l’heure actuelle je suis au travail sur de nouvelles compositions algorithmiques. Le field-recording me préoccupe aussi beaucoup, j’irai là où la nécessité intérieure me pousse !

Shimmering est sorti le 25 mars 2022 dans la collection Mind Travels, sous-catalogue du label Ici D’Ailleurs.  Un grand merci à Jean-Philippe Béraud et à Stéphane Grégoire pour l’organisation de cet échange.