[Live Report] Interpol et Orlando Weeks à la Salle Pleyel : le spectre de la beauté…

Vu l’extase qui se lisait sur les visages des fans quittant l’air conditionné de Pleyel à 23 heures pour retrouver la canicule parisienne, le set d’Interpol avait été une vraie réussite. De quoi convaincre d’ailleurs même les spectateurs plus réticents…

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Interpol à la Salle Pleyel – Photo : Robert Gil

On en parlait justement entre amis, Interpol, un groupe littéralement porté aux nues par ses fans, a été un vrai souffle d’air frais quand il a débarqué au tout début des années 2000 et qu’il a offert, avec son élégant retour à la cold wave des eighties, une échappatoire à la musique bruyante et échevelée du grunge qui avait tout envahi. Portée par le chant régulièrement magnifique et touchant de Paul Banks et les guitares carillonnantes, « post-punk » (comme on ne disait pas encore vraiment à l’époque) de Daniel Kessler, cette musique avait tout d’une renaissance. 20 ans plus tard, alors que le groupe a peiné à se renouveler sur album, a offert des concerts de qualité variable, et a été challengé par des centaines (des milliers !) de jeunes groupes qui ont choisi le post-punk comme étendard à leur mal-être, Interpol est-il encore pertinent ?

2022 06 18 Orlando Weeks Salle Pleyel RG20h : Orlando Weeks, il faut avouer qu’on a un peu perdu sa trace depuis que The Maccabees n’existent plus, et la carrière solo, tournée vers une sorte de pop atmosphérique assez expérimentale, de « l’homme à la voix d’ange » est largement passée sous nos radars. On est donc heureux de le retrouver, entouré d’un quatuor visiblement très enthousiaste, très heureux d’être là sur scène pour défendre leur musique… même si l’on remarque immédiatement l’absence d’une guitare, largement remplacée par une trompette exubérante. Les deux premiers titres accrochent bien, qui offrent une réminiscence discrète de ce que l’on avait tant aimé dans les deux premiers albums merveilleux des Maccabees. Orlando a toujours cette voix singulière, qui paraît d’ailleurs sur scène manquer d’assurance (mais on peut trouver que ça fait partie de son charme !) : on est néanmoins frappé par sa nervosité, ses gestes désordonnés, par une sorte d’angoisse qui se dégage de lui, surprenante pour un chanteur avec autant d’expérience. Et puis, peu à peu, le set se délite, perd de la consistance, de l’intérêt : sont-ce les structures trop complexes des chansons qui nous égarent ? Ou bien le fait qu’Orlando peine à incarner sur scène sa musique ? Les deux derniers titres rattrapent légèrement l’impression d’ennui qui s’est dégagée de ces trop longues 40 minutes. A revoir sans doute dans des conditions plus intimes que celles offertes par le cadre un peu mégalo de la Salle Pleyel… (même si la qualité de son air conditionné, en ces temps de canicule, nous a fait AIMER la salle, ce soir…)

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21h10 : Ce sont sous les accords de la BO de la série Gomorra que, tirés à quatre épingles comme des maffieux italiens, baignés de lumières rouges qui resteront une grande constante du set, les musiciens d’Interpol (et pas « Interpole » comme indiqué au bar de la Salle Pleyel, honte à eux !) pénètrent sur la grande scène, accueillis par une ovation qui montre la ferveur que le groupe provoque encore en 2022, loin de nos interrogations à nous, « les « non-fans ». L’intro atmosphérique de Untitled sert d’entrée en matière, avant que Evil nous rappelle pourquoi en 2004, nous aimions ce groupe – alors, rappelons-le, en concurrence directe avec leurs frères jumeaux / ennemis ataviques (d’après les fans d’Interpol) d’Editors : oui, cette reprise directe de la musique inventée par Joy Division mais où la noirceur absolue avait été remplacée par un romantisme ébouriffant, nous touche toujours autant !

2022 06 18 Interpol Salle Pleyel RGSam Fogarino étant malade, il est remplacé aux fûts par une doublure qui fera bien le taf, sans bien entendu égaler la frappe martiale du batteur historique du groupe. Juste devant nous, Daniel Kessler va passer le concert à nous amuser de ses pas de danse tout en délivrant les riffs tranchants qu’on aime. Banks restera planté devant son micro, mal éclairé, au grand dam des photographes, mais s’appliquera à chanter pendant une heure et demie en « incarnant » de manière intense ses chansons : on utilise volontairement le même terme que pour Orlando Weeks, car, même si Banks n’est pas à proprement parler un grand chanteur, il est saisissant de comparer la force émotionnelle de son chant avec le trouble porté par la voix de Weeks. Le son de Pleyel est plutôt bon, ce soir, fort et clair, donc aucune raison de se plaindre (si ce n’est des lumières, on l’a dit…).

La première partie du set ressemble néanmoins à une sorte d’échauffement… même si là encore, le léger ennui que nous pourrons ressentir çà et là, en particulier quand Kessler abandonne sa guitare pour les claviers sur deux chansons, nous vaudra certainement l’anathème éternel des fans du groupe. Les nouveaux titres du futur album s’intègrent bien, et confirment qu’Interpol continue bel et bien sur sa lancée.

Il faut attendre l’accélération – bienvenue – de All the Rage Back Home pour que le concert prenne son véritable envol. Le magnifique Rest My Chemistry – sans doute l’une de leurs plus belles chansons – confirme alors que la seconde partie du set va voler bien plus haut que ce qui a précédé. D’ailleurs, Banks se met presque à sourire (oui, il semble se décontracter !), et les entrechats de Kessler se font plus joyeux. The Rover a une immédiateté presque pop qui fait du bien, avant que les classiques The New et PDA ne nous achèvent…

2022 06 18 Interpol Salle Pleyel RGOn regrettera quand même qu’Interpol, porté par l’enthousiasme de la foule, ne daignent pas déroger à leur éternelle règle des trois chansons, pas plus, pour un rappel un peu en deçà de ce qui a précédé : on sait bien que la fantaisie n’est pas la grande qualité du groupe.

Inutile de dire que dans le camp bien fourni des véritables admirateurs du groupe, les superlatifs ne manquent pas (« j’ai pris un pied de dingue ! », « fucking amazing ! »), et on est heureux pour eux. De notre point de vue, ce concert a surtout confirmé qu’Interpol ne révolutionnera plus rien, qu’ils ont toujours tendance à manquer d’intensité, mais que, grâce au chant de Banks (lorsqu’il est en forme comme ce soir…), ils savent la remplacer par quelque chose qui peut serrer le cœur : sur Rest My Chemistry ou sur Leif Erikson, ce soir, une sorte de spectre a même flotté sur leur set, que l’on n’aurait pas espéré entrevoir…

… celui de la BEAUTE.

Photos : Robert Gil
Texte : Eric Debarnot