[Interview] Serpent : « on joue du funk de contrefaçon ! »

Grosse découverte en live pour nous que Serpent, un groupe parisien explosif et original qui nous a bien fait danser en première partie de White Lies. Mathieu, ex-Lescop, et Quentin nous expliquent de quoi il retourne…

Serpent par David Maurel
Photo : David Maurel

Benzine : Si vous décriviez votre musique à quelqu’un qui ne l’a jamais entendue, vous diriez quoi ?

Mathieu : Nous, on a inventé un terme pour qualifier notre musique, c’est du post-funk, c’est du funk en plastique. Fabriqué en Chine… En fait à Paris, mais c’est du funk de contrefaçon

Benzine : Je ne sais pas si c’est post-moderne ou provocateur, ça…

Quentin : Ben non, c’est la vision qu’on a, c’est aussi une référence au post-punk, à d’autres trucs qu’on a un peu dans le cœur, mais qui ne sont pas vraiment d’actualité pour notre son. Et on a plein de références afro-américaines, mais on sait bien que, à la fin, ce qu’on fait, nous, ce n’est pas ça. Il fallait montrer qu’il y a une filiation, un lien, mais qu’en étant honnêtes, nous c’est autre chose…

Mathieu : C’est une supercherie…

DysfunctionBenzine : Sur scène, la première fois qu’on vous a entendus, on s’est dit, ça rappelle ce qu’il y avait de meilleur chez les Talking Heads…

Mathieu : Cette question, c’est une blague, en fait. A la fin de chaque concert, il y a quelqu’un qui vient nous dire ça, c’est devenu une private joke entre nous.

Benzine : Désolé, c’est un de mes groupes préférés…

Quentin : Nous aussi, c’est un de nos groupes préférés.

Mathieu : Eux aussi avaient cette envie- là, c’était une relecture par des gens du Nord… j’allais dire une relecture par des Européens… les Talking Heads, même si c’était des Américains, ils étaient très imprégnés de la culture européenne… Nous, c’est la même démarche, encore pire, on est français, on ne peut même pas dire qu’on est américains… C’est de la contrefaçon, une relecture européenne d’une musique qui ne l’est pas. Le punk, c’était ça aussi : comme disait Quentin, il y a une petite référence au post-punk… Le punk, c’était une relecture du rock’n’roll par des Anglais qui faisaient 40 kg et qui ne savaient pas jouer. Nous, en fait, on joue une musique qu’on ne sait pas jouer : c’est pour ça que c’est intéressant, c’est chiant les gens qui savent jouer…

Quentin : Qui sont trop bons élèves, quoi…

Benzine : Après, j’admire quand vous dites que vous ne savez pas jouer, c’est quand même très bon…

Quentin : C’est sympa, mais on est quand même dans un paradigme socio-culturel. On n’est pas du tout des mecs qui ont grandi en faisant du gospel tous les week-ends, donc on y arrive différemment : ça a un son différent, il se passe d’autres choses. Mais pour revenir à la première question, tout ce qui a été mentionné dans ton live report, Devo, ce sont des musiques qu’on adore… Après, on essaie d’en faire une version à notre sauce, de transcender cette filiation.

Mathieu : Oui, ce sont des influences, mais c’est aussi pour leur tordre un peu le cou. C’est à la fois un hommage aux Talking Heads, et un enterrement des Talking Heads

Benzine : Et qu’est-ce qu’il y a comme autres musiques que vous avez beaucoup écoutées ?

Quentin : Dans l’ADN du dernier EP, il y a eu une grosse phase de Betty Davis, il y a eu Crack Cloud, il y a eu Soulwax. La grosse différence entre notre premier et notre second EP, c’est qu’on a introduit à dose homéopathique notre passion pour les synthés… comme LCD Soundsystem, qu’on adore tous, mais qui jusque-là avait été invisible.

Benzine : Revenons un peu en arrière, comment est-ce que c’est né, Serpent ?

Mathieu : Pour ma part, c’était une envie de recréer un groupe, j’en avais marre et d’être dépendant d’une rencontre avec un réalisateur, comme pour mes deux albums solos : les gens finissent par attendre de toi quelque chose de l’ordre d’une synergie, mais ça ne se fait pas sur commande. J’avais envie de revenir au seul métier que j’avais appris, être chanteur dans un groupe ! ça me manquait d’être avec des gens, dans une salle de répétition, que ça se passe sur le vif, sans trop de plan de carrière… C’est une parenthèse, mais le milieu de la musique est devenu ennuyeux, il y a un côté « mental d’entrepreneur » qui me casse les pieds. Je pense qu’on avait tous, dans Serpent, envie d’être à contre-courant de ça : nous, c’est avant tout l’idée de se faire plaisir en jouant de la musique, en la partageant ensemble. Tout le reste, les concerts, les albums, les t-shirts du groupe qu’on peut vendre, c’est du bonus.

Quentin : Je vais parler pour tous les autres compères du groupe qui ne sont pas là : nous, on avait tous eu différents projets, devenus très cérébraux, centrés sur la production avec des outils modernes, alors qu’on est tous à la base des musiciens. Il y avait une envie de faire de la musique comme ça, simplement : c’est gratifiant pour nous, c’est spontané… On avait envie de se reconnecter avec ça, et d’ailleurs nos premières sessions ont été ultra-informelles. On ne savait vraiment pas où on allait…

 

seprent2_mehdibenkler
Photo : Mehdi Benkler

Benzine : Mais vous vous connaissiez depuis longtemps ?

Quentin : Cyprien, le batteur a fait toutes les tournées de Lescop, et le deuxième disque. Adrian, il avait joué avec Mathieu pour des concerts de Lescop à la Philharmonie. Martin et moi, et Adrian, on avait eu déjà plusieurs projets ensemble.

Mathieu : On ne se connaissait pas tous au départ, mais on était des satellites d’une même bande… On aurait pu ne pas s’entendre, on a eu de la chance…

Benzine : Et pourquoi ce nom, Serpent ?

Mathieu : ça t’évoque quoi, toi, « Serpent » ? c’est ça qui m’intéresse…

Benzine : ça ne m’évoque pas directement votre musique, c’est quelque chose de menaçant et dangereux, et puis aussi, le symbole de la connaissance…

Mathieu : Le serpent a une charge mystique forte, à certains endroits, il peut avoir une charge maléfique, alors que dans d’autres, il incarnera la sagesse, la procréation, l’intuition. Un Indien, il n’aura pas du tout le même rapport avec le serpent qu’un Européen. C’est un animal mystérieux qui a aussi en lui ce cerveau reptilien qu’on a tous en nous, caché derrière notre cerveau de mammifère et notre néo-cortex… Nous on fait une musique qui s’adresse plutôt au cerveau reptilien. Après, on est peut-être un peu des reptiliens (rires).

Quentin : A un moment, il faut qu’on enlève nos visages pour que tu vois qui on est… (rires). En fait, le serpent, c’est une espèce de package de symboliques qui nous parlaient complètement.

Benzine : C’est un nom fort, un véritable engagement qu’il faut tenir, quand même… C’est autre chose que s’appeler les Marshmallows, quand même…

Mathieu : Faut voir… (rires)

Benzine : Alors, vous travaillez sur quoi en ce moment ?

Quentin : En ce moment, ce n’est la période la plus productive de Serpent, on a beaucoup tourné, alors on est en vacances. On a sorti notre deuxième EP au mois de mai, Dysfunction, dont on est très contents, et l’idée est de recomposer des nouveaux morceaux. Pour un nouvel album, il faut déjà qu’on ait des morceaux : pas de plan du genre Silicon Valley !

Mathieu : En fait, on est toujours emmerdés quand on nous pose cette question. Ça montre d’ailleurs combien l’écosystème de la musique a changé, puisqu’à chaque interview, on nous demande quels sont nos projets. Le principe de Serpent est qu’on n’a pas de projets, on a des envies, on fait des choses… Et une fois qu’on a fait des choses, on voit ce qu’on en fait. Il n’y a pas de planning provisionnel ni de Powerpoint.

Benzine : Ne soit pas dur avec tes collègues qui font du Rock, ils ne sont pas non plus à faire des Powerpoint.

Mathieu : Non, bien sûr, je parle surtout de la vie en général, et du monde de la musique. Mais aujourd’hui, on ne dira plus « j’ai un groupe », on dira « j’ai un projet ». Il y a toute une novlangue d’entrepreneurs dans la Musique. Je trouve amusant, c’est comme un jeu, ne pas utiliser ce langage d’entrepreneur.

Quentin : On est plus en mode « alchimiste », on va dans le laboratoire, on fait notre truc.

Benzine : Mais vous avez quand même des rêves ave ce groupe ?

Mathieu : Je n’ai pas de rêves, je n’ai que de la réalité, ça m’excite que quand ça devient réel. La seule chose qui m’excite, c’est d’avoir une nouvelle chanson, un nouveau concert.

Quentin : Chaque musicien a forcément envie que ce qu’il fait ait la plus belle vie possible… Mais entre nous, à la base, on essaie d’abord de faire des morceaux où il y ait la petite étincelle. De faire des concerts où ça soit explosif, où on vive le moment et les gens aussi. Si on a déjà ça, c’est génial.

Mathieu : Penser à faire des plans de carrière, c’est pas fun, il y a plein de trucs pas fun derrière. Nous, depuis qu’on a commencé, il se passe des trucs rigolos : et à l’époque où on vit, les trucs rigolos, c’est une denrée rare, non ?

Quentin : On est un contre-exemple parfait, on est nombreux, on fait du Rock à l’ère du Rap, on a fait des concerts, on arrive à, entre guillemets, à exister. Quelqu’un en Ecole de Commerce nous dirait : « Mais, ça ne va pas du tout, votre truc ! ».

Mathieu : On est des trolls ! Le groupe-concept de trollage !

Quentin : Oui, mais des trolls rigolos (rires).

Propos recueillis par Eric Debarnot le 2 août 2022

Serpent ont sorti le 13 mai dernier leur second EP, Dysfunction.
Ils joueront le 12 octobre prochain au MaMA Music & Convention (Paris – lieu exact à confirmer)