« Nous étions le sel de la mer » de Roxanne Bouchard : voyage en Gaspésie

Avec son nouveau livre, Roxanne Bouchard propose intrigue policière et embarque le lecteur au Québec, du côté de la péninsule de la Gaspésie. Elle dresse un portrait sensible de la communauté qui vit dans cette baie abandonnée des pouvoirs publics et des poissons chassés par la pollution.

Roxanne-Bouchard
© Pierre Luc Landreville

A Montréal, Catherine déprime, elle a perdu son père et sa mère adoptifs, son médecins lui conseille de prendre l’air, de partir en voyage, de voir du monde, de changer de vie. Elle décide alors de partir en Gaspésie où quelqu’un l’attend, à Caplan, dans la Baie des Chaleurs, d’après les termes d’une lettre qu’elle a reçue. Elle pense y rencontrer sa mère biologique qu’elle n’a jamais vue et découvrir qui est son vrai père qu’elle ne connait pas. Mais, l’aventure tourne vite au drame quand elle arrive dans le petit port, on découvre peu après le corps de sa mère enroulé dans des filets de pêche au milieu de la baie, elle est morte avant qu’elle puisse la connaître.

Nous étions le sel de la mer de Roxanne BouchardL’enquêteur Moralès débarque lui aussi dans le petit port pour y prendre ses nouvelles fonctions, sa supérieure le charge immédiatement de l’enquête sur la mort de Marie Garant, la mère de Catherine. Il se heurte au mutisme des pêcheurs et autres habitants du port qui entendent bien garder pour eux l’histoire qui a conduit Marie à abandonner sa fille, à naviguer seule au grand large et à séduire de nombreux hommes du village. Il découvre vite que beaucoup de femmes ne l’aiment pas et, parallèlement, Catherine apprend que beaucoup d’hommes l’ont trop aimée sans qu’elle les aime pour autant. Elle a eu beaucoup d’amants mais peu de vrais amours, son histoire semble avoir été trop lourde pour qu’elle s’attache à un seul homme.

Les femmes n’aiment pas trop Catherine qui leur rappelle trop sa mère mais les hommes lui font quelques confidences pour se souvenir des bons moments qu’ils ont passés avec elle. Les gens du coin baladent Moralès qui s’égare dans ses conjectures et ils noient Catherine dans leurs souvenirs épars, les laissant tous les deux dans l’expectative et l‘incompréhension. Manifestement personne ne veut ouvrir la boîte à souvenirs qui semblent bien trop lourds pour les raviver.

Je me suis laissé emporter par cette histoire gaspésienne, Roxanne Bouchard fait preuve d’un réel talent de conteuse pour faire revivre cette petite communauté perdue au bout du monde, ce petit port où les coutumes et les usages anciens sont encore en vigueur, où il n’y a pas plus d’avenir que de poisson dans la baie. Roxanne a choisi de conserver la langue la plus proche possible du parler québécois en y ajoutant même de savoureux dialogues remplis d’expressions vernaculaires usités par les pêcheurs de la Baie. Cette forme d’écriture donne une vraie vie à cette histoire, on y respire au rythme des marins, on y picole au bar avec les habituels poivrots, on y embrouille les touristes, la police et tous les étrangers pour rester entre soi pour le pire et le meilleur. Et dans ce texte, c’est surtout le pire qui attend les protagonistes si on déterre les cadavres et si on démasque les coupables.

Ce livre est avant tout un polar, il faut chercher un coupable et le mettre sous les verrous mais, c’est surtout, à mon avis, une page d’histoire de la Gaspésie, et un tableau émouvant de cette communauté qui disparait peu à peu dans cette baie abandonnée des pouvoirs publics et des poissons chassés par la pollution. J’y ai retrouvé l’atmosphère et l’émotion que j’ai ressentis dans un film, La grande séduction, où une communauté gaspésienne, tout aussi perdue, s’emploie avec toute sorte de subterfuges à convaincre un médecin d’accepter de s’installer au village pour éviter sa disparition,

Que c’est bon de lire cette langue fleurie et goûteuse quand on est gavé de jargons divers, de franglais ou de globish par les médias modernes et la mauvaise littérature.

Denis Billamboz

Nous étions le sel de la mer
Roman de Roxanne Bouchard
Éditeur ‏ : ‎ Editions de l’Aube
336 pages – 19,90€ / 12,99€
Date de parution : 25 août 2022