Dominique A – Le Monde Réel : un disque de contrastes

Notre grand chauve majuscule nous redonne des nouvelles du Monde Réel avec un superbe album, trait d’union possible entre le mal-aimé Tout Sera Comme Avant (2004) pour ses envies orchestrales et l’ampleur discrète des lignes mélodiques de Mark Hollis pour cette tentation de l’espace. Avec Le Monde Réel, Dominique A signe une collection de chansons ambitieuses et évidentes de clarté. Un grand cru !

© Jerome Bonnet

« Nous n’irons loin, nous n’irons bien qu’avec les autres » déclame Dominique A comme dans une évidence incertaine au coeur de Le Monde Réel, son album post-confinement, post (?)-COVID comme si le monde d’après c’était (peut-être) maintenant, comme si après l’effondrement, il ne restait plus qu’à reconstruire, se reconstruire. Comme s’il fallait se prévenir de cette pulsion d’autodestruction qui jaillit en chacun de nous, comme ce vieillard amaigri qui ne cesse de réclamer le repos en étirant ses bras décharnés dans le vide. Comme si chaque signe du destin était en soi comme un symbole, comme une possible promesse, comme une anticipation, comme l’annonce d’un monde qui vient. On sait bien que Dominique A n’est pas si naïf, qu’il ne faudra pas aller chercher dans le futur des heures et des jours meilleurs et plus paisibles. Nous sommes ces pantins de paille et nous sommes le combustible permanent de ce grand incendie que rien ne fixe, que rien n’éteint.

Ce qui est remarquable dès la première écoute du Monde Réel, c’est cet antagonisme, cette dichotomie entre la transparence presque simpliste (c’est le presque qui importe ici) des paroles souvent portées par un sentiment écologiste, par une crainte millénariste et collapsologique et de l’autre côté une forme d’abstraction que soutiennent les lignes mélodiques de ces dix nouvelles chansons.  Certains regretteront l’écriture blanche plus suggestive et plus énigmatique du Dominique A d’Auguri (2001) ou encore de La Musique/La Matière (2009), cette langue allusive et symbolique, épique et lyrique, plus dans l’éther que planté sur terre mais cette écriture n’a peut-être pas totalement disparue du processus harmonique du chanteur, elle s’est juste déplacée du côté de la seule composition, des seules notes qui jouent avec l’énigme et le mystère. On sait depuis longtemps l’admiration que porte l’auteur de Remué pour Gérard Manset. Sur ce disque où plane en permanence le spectre de Mark Hollis, on y croisera également l’influence de Manset, en particulier sur le titre qui donne son nom à l’album.

Le Monde Réel est un disque de contrastes, Dominique A n’a jamais si bien chanté, les mélodies sont pleines de surprises et d’espace, la faute au piano limpide et onirique du fidèle parmi les fidèles David Euverte mais aussi à la batterie du nantais Etienne Bonhomme aux teintes jazz, à l’imaginaire pas si éloigné d’un Jim White. Il faut dire que Dominique A s’accompagne sur ce disque audacieux et ambitieux de musiciens issus de la scène Jazz, le contrebassiste Sébastien Boisseau, le pianiste Julien Noël ou encore la flutiste Sylvaine Hélary. C’est sans aucun doute de là que vient ce sentiment d’abstraction et d’élégance que dégage Le Monde Réel. Pour autant, Dominique A ne fait pas son Chet Baker ou son Charlie Mingus dans ces chansons, il parvient à une maîtrise absolue entre un académisme né d’une évidence et d’une pulsion de clarté et de l’autre flanc une certaine idée de l’évaporation de l’espace, de la transformation d’un sentiment en une volute vaporeuse.

Ce que nous disent les roches, mon amour
C’est qu’elles se foutent de nous, mon amour
Tout ce qui peut nous arriver
Elles s’en foutent
Regarde bien la pierre plissée
Elle a l’air de tout encaisser
Elles a pour elle l’éternité
Et pas nous

Dominique A – Les Roches

Dominique A cite dans le communiqué de presse le souvenir du Blue Moods Of Spain (1995), le premier disque de Josh Haden, c’est vrai que les deux albums partagent une même sensualité nocturne, un même swing maladif et arythmique. Sur ce disque, Dominique A nous parle de mouvements contraires et opposés comme sur le faussement simple Le Manteau Retourné De L’Enfance, entre nous qui ralentissons dans l’immobilité et les jours et les années qui filent.  Ce qui est omniprésent et qui court dans tout Le Monde Réel, c’est ce rapport au temps qui induit forcément un rapport à l’espace, le Nous collectif y est éternel, le futur incertain.

L’ouvrage aura belle allure dit-il en ouverture comme pour mieux s’en convaincre et nous convaincre également au passage. Il suffit de quelques notes espacées par des silences pour entrer en empathie avec cette nouvelle proposition. Aidé dans cette gestation par le producteur Yann Arnaud croisé récemment sur la B.O d’Annette ou chez Son Parapluie, Syd Matters, Alex Beaupain et bien d’autres, Dominique A  signe un ouvrage qui comblera les fans de la première heure et qui demandera sans doute à ceux qui l’ont découvert avec Eleor un temps d’acclimatation.  On entend chez ce natif du signe de la Balance un goût pour l’indécision, pour la prise de risque. Il est remarquable à l’écoute de ce disque aventureux, tortueux, complexe et évident.

Les sommets percent les nuées
En retour celles-ci nous accablent
Et nous voilà trempés, trempés

L’évaporite, l’obsidienne
La phonocite, la cornéenne
Le grès, le marbre, le porphyre

Aucune roche qui meure de désir
Qui s’inquiète du lendemain
Aucune roche qui sente sa fin
venir

Dominique A – Les Roches

On n’en a que faire de savoir si le monde d’après est pour demain, Dominique A nous donne des nouvelles d’un monde lointain, de gens qui n’existeraient pas vraiment. On devine en lui un moraliste sans loi, sans règle à suivre, sans prophétie à défendre. Dominique A esquisse un constat, il ne dresse rien ni personne l’un contre l’autre. Ce « nous » qui habite chacune de ses chansons l’englobe tout autant que toi qui l’écoute, il ne nous scrute pas du haut de sa tour d’ivoire, il est un individu parmi la foule, peut-être son regard est-il seulement plus aigu, peut-être sa conscience est-elle moins endormie ?

Peut-être plus qu’un monde d’après, un monde réel, nous offre-t-il une invitation à un éveil ?

Greg Bod

Dominique A – Le Monde Réel
Label : Cinq7
Date de Sortie le 16 septembre 2022