« Z comme zombie », de Iegor Gran : Les Kremlins

Pendant pamphlétaire du Mage du Kremlin de Giuliano da Empoli, succès de librairie de 2022, l’essai Z comme zombie de Iegor Gran nous décrit, à charge, le panurgisme de la majorité du peuple russe face à la guerre que mène Poutine contre l’Ukraine et l’Occident : inquiétant…

Iegor-Gran
Iegor-Gran. Photo : John Foley / P.O.L

« L’homme russe sait toujours faire la différence entre un fait et une vérité » dit Valeri Tatarov, documentariste russe, cité dans Z comme zombie d’Iegor Gran. Pour mieux appuyer ce distinguo, l’auteur précise : « les faits sont souvent désagréables, contrairement à la vérité, qui est toujours du bon côté, à flatter la croupe de la Russie. ». Rappelons que l’organe officiel du parti communiste soviétique s’appelait La Pravda soit La Vérité en français. Rien n’est bien nouveau sous le soleil si ce n’est que les outils de propagande sont désormais plus efficaces comme la « télévision à la botte du Kremlin. Seule source d’information pour des millions de citoyens » qui diffuse « du gros fake qui tache », petit écran aussi appelé en russe « zombocaisse » une « boite qui sonne creux et rend bête ».

Iégor Gran, fils d’un écrivain dissident russe arrivé en France en 74, centralien, écrivain de plus d’une quinzaine de romans chez P.O.L, collaborateur de Charlie Hebdo, tente de nous montrer, dans cet opuscule, comment le peuple russe gobe sans barguigner la propagande de Poutine et le suit dans sa croisade haineuse contre l’Ukraine et plus largement l’Occident. La démonstration acerbe de l’auteur, on le serait à moins, tente de dénouer « les rouages de cette folie » apparentée à une zombification de la population.

«Z comme zombie»: Iegor GranLe préambule précise « tous les russes ne sont pas comme ça […] Il n’empêche. » puis le premier chapitre donne la parole aux zombies, c’est un florilège de toutes les sottises possibles et inimaginables émises par une partie de la population à propos de cette guerre, témoignages glanés par Iegor Gran auprès de ses proches, sur les réseaux sociaux ou dans divers media. C’est ahurissant notamment quand il s’agit d’une mère qui, ayant perdu son premier fils au combat, témoigne à son enterrement : « Ah que Dieu ne lui a-t-il pas donné un deuxième fils ! Elle l’aurait illico envoyé poursuivre la sainte mission du premier. ». Le lecteur peut néanmoins questionner cette litanie d’absurdités, n’est-ce pas le fruit d’un populisme qui n’a pas de frontières et s’avouer qu’aucun pays n’est à l’abri de tels débordements…

Plus gênant est la partie « Propagande et latrines », Iegor Gran par le biais de métaphores scatologiques nous décrit les russes comme un peuple ayant « l’esprit en cuvette de WC pour accepter de bouffer de la merde. ». On croirait lire du Poutine dans le texte ! Même si nous avons un pamphlet entre les mains, est-ce un propos acceptable pour défendre l’idée de la démocratie ?

En revanche, plus éclairant est le chapitre sur « Le culte du Z [] barbouillé à la peinture blanche sur tous les blindés russes qui encerclent l’Ukraine ». Ce Z est devenu le swastika du régime qui le met à toutes les sauces quitte à l’inclure dans l’alphabet cyrillique où il remplace le caractère russe 3 (Zé). Le Z apparait désormais dans « les documents administratifs, les sites internet des municipalités, les panneaux d’affichage des écoles et des maisons de retraite. ». Il est aussi du plus bel effet de se tondre un Z sur la nuque ou mieux encore le barbouiller sur la porte des opposants à cette guerre…Cela en serait presque hilarant si cela ne nous ramenait pas à de très mauvais souvenirs, a minima à Georges Orwell dans 1984.

Qu’est-ce qui a pu amener à une telle situation ? Iegor Gran dans la partie Pouchkine et son complexe mentionne que « le complexe de supériorité, dont souffrent pas mal de peuples, produit parfois un poison mental subtil qui se manifeste chez les Russes dans la certitude qu’ils ont été désignés par quelque puissance divine pour accomplir de grandioses et tragiques desseins », on trouve d’ailleurs cette même explication dans Le mage du Kremlin. L’autre question qu’on doit se poser est comment avons-nous pu laisser faire cela : Iegor Gran fustige à raison la naïveté de l’Occident qui pendant vingt ans « s’est couché devant leur tzar et leurs oligarques. ».

Au-delà du témoignage accablant donné par cet ouvrage, il est à certains moments dérangeant car stigmatisant trop vulgairement le peuple russe dans son ensemble, oubliant au passage le poids coercitif de la répression du régime. Tournons nos regards vers le Brésil, les États-Unis ou vers la France, prenons un exemple : que se passerait-il si un gouvernement aux positions extrêmes décidait de chasser tous les étrangers du territoire vers leurs patries d’origine en menant des actions violentes… comment réagiraient la population (les pour et les contre) et certains médias ?

Si vous avez lu Le mage du Kremlin, il n’est pas inutile (et en plus plaisant) de lire Z comme zombie, l’ouvrage est sans doute excessif mais s’approche assez près d’une triste vérité (et pas celle de Poutine).

Éric ATTIC

Z comme zombie
Essai de Iegor Gran
Éditeur : P.O.L
176 pages – 16€
Date de parution : Septembre 2022

“Le mage du Kremlin” de Giuliano da Empoli : Poutine mode d’emploi