New York City – The Men : les hommes, les vrais !

Mais dans quelle faille spatio-temporelle The Men est tombé pour sortir un album pareil ?! La question se pose, mais on ne va pas le faire. On va se laisser assommer par les 10 morceaux et à peine 40 minutes de son brut, de guitares crades, de voix hurlantes. Du rock’n’roll mâtiné de punk, ou l’inverse. L’urgence dans la flamboyance. La classe dans le caniveau. Splendide. Épuisant.

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The Men est un groupe qui finit par obliger à se poser des questions quasi-métaphysiques. Qu’est-ce que l’Art ? Est-ce explorer, encore et toujours, la même voie au risque de se répéter (mais la répétition et la constance ne sont-elles pas des vertus artistiques ?). Ou alors, l’art consiste-t-il à rechercher sans cesse de nouvelles perspectives, au risque de l’inconstance évidemment (mais l’inconstance n’est-elle pas, justement, une vertu ?). Dans le cas présent, c’est plutôt la seconde interprétation qui est retenue.

New York City – The MenThe Men n’est pas le groupe d’un seul genre ! Voilà ce que disent les connaisseurs, qui ajoutent que c’est un groupe qui a su évoluer (beaucoup), qui a montré combien il était capable de (presque) tout faire. Comme passer d’un son sale et d’une musique violente, voire brutale (écoutez ou réécoutez Grave Desecration ou Lazarus sur Immacula, sorti en 2010 et vous verrez – surtout, on vous prévient, ne mettez pas le son à fond !) à de somptueuses et émouvantes douceurs voix-piano ou voix-guitare sèche (comme Fallin’ Thru ou Mercy sur l’album éponyme en 2020). The Men est aussi un groupe capable de composer de très bons morceaux country (Drift, 2018, en est rempli) ou encore des « choses » étranges, genre rock FM eighties comme Children All Over the World (toujours sur Drift) ! Comment un groupe qui vous a récuré les oreilles avec un album comme Immacula peut composer de telles choses ? On se pose la question. Est-ce toujours le même groupe ? Est-ce du second degré ? Est-ce vraiment possible ? Bon, on ne va pas re-poser des questions déjà posées cent fois. Mais, on pouvait penser que le groupe avait définitivement changé. Certes, il y avait bien eu des morceaux comme Killed Someone (Drift) Breeze (sur Mercy), mais on les croyait sauvés, pour toujours. Adieu les bas-fonds sombres et enfumés (on suppose) des débuts et bonjour les paysages plus aérés et ensoleillés de la campagne.

Eh bien non ! Avec New York City, The Men revient en ville et retrouvent leurs débuts ! Ils rebranchent les guitares électriques, montent le volume et nous envoient dans les cordes. Uppercut au menton. Crochet au foie. Direct et imparable. Il faut quelques secondes sur le premier morceau, Hard Livin’, avant que cela ne démarre ; quelques secondes en trompe l’oreille traitre parce que la suite est brutale.

Et ça dure quatre morceaux, pendant lesquels, acculé dans les cordes, on peine à respirer. On a la tête enflée et les oreilles gonflées. En réalité, après chacun de ces morceaux, on se demande comment on pourra tenir jusqu’au suivant. Le suivant arrive, et la folie recommence. Après quatre morceaux, on se dit qu’on tient là le meilleur EP de l’année – allez, dans les 10 meilleurs, au moins ça. Un rythme impossible à suivre (surtout ne pas écouter au casque en faisant du vélo ou en marchant dans la rue, cette musique rend impossible tout comportement coordonné). Un son parfait et crade à souhait – low-fi pourrait aller, mais ça ferait un peu trop prout-prout. Des guitares déchaînées qui grattent vraiment. Des solos incroyables. On a même droit à du piano sur Hard Livin’, comme si Jerry Lee Lewis était venu hanter le morceau. Et la voix… les titres ne sont pas chantés, ils sont hurlés, comme si l’urgence du moment rendait impossible de garder son sang froid.

God Bless The USA est un parfait exemple de ce que The Men réussit à faire sur cet album… un rythme rock de folie dès les premiers accords, There is a fire burning in the USA, répété, répété, répété, jusqu’en être hurlé, la voix qui se casse – on en a des frissons – et le morceau se conclut par God Bless The USA (quoi donc !? Pour sauver de ce feu, il n’y aurait que Dieu !) sans que le rythme n’ai baissé un seul moment ! Et on n’a même pas atteint la moitié de l’album. À partir de Eye, le cinquième morceau de l’album, toujours sur la même face !, le son change un peu. The Men se et nous rappelle que c’est un groupe qui est capable de jouer plusieurs types de musique. Les morceaux se font plus lents, plus blues, mais tout aussi lourds, abrasifs. La fin de l’album est moins violente, mais tout aussi exigeante. On croit respirer, on sautille au milieu du ring, mais les coups (batterie, riffs) sont toujours aussi forts. Jusqu’aux derniers accords à l’orgue de River Flows, un petit côté country-americana… River Flows, un morceau qui râpe aussi, mais qui relève d’un autre registre – celui de l’émotion. Il fallait qu’ils terminent avec autre chose… The Men restera The Men ! Mais quel album !

Alain Marciano

The Men – New York City
Label : Fuzz Club Records
Date de sortie : 3 février 2023