Le trio de rappeurs écossais Young Fathers vient de sortir son 4ᵉ album Heave Heavy. Un hip-hop engagé qui mêle gospel, sonorités africaines et même un brin de punk-rock, pour un résultat percussif et mouvementé.
Le trio écossais Young Fathers fait son retour avec Heavy Heavy, leur 4ᵉ album, toujours chez les Britanniques de Ninja Tune. Un album qui, dès le premier morceau, Rice, donne tout le sens du choix du titre. L’art de la percussion est la clé de voute de tous les éléments organiques qui constituent un à un la magie des 10 titres de l’album.
Les beats surpuissants qui rebondissent sur des basses bien épaisses, créent une expérience d’écoute sismique, dans un chaos contrôlé de très bonnes sonorités alternatives qui les accompagnent. Les magnifiques voix du trio s’exercent en souplesse sur ses prods mouvementées, miaulantes de nonchalance ou distordues de colère quand les situations l’imposent.
Ce sens de la percussion parfois tribal hisse les origines libériennes et nigériennes d’Alloysious Massaquoi et Kayus Bankole, souvent exploitées par la formation.
Le disque a été enregistré dans des conditions peu extravagantes par le trio, qui a simplement décidé de bourlinguer sans prise de tête dans leur studio d’Édimbourg, eux, des micros, tous les instruments branchés. A l’ancienne.
Ce retour aux fondamentaux ne vient pas sans sa dose d’authenticité, et quel plaisir de redécouvrir les trois copains dans leur jus, farcis d’inspirations en tout genre, balayant les frontières de genre. Clin d’œil (ou pas) au Kanye West post-Pablo, le hip-hop Young Fathers exulte son ascendance gospel, avec ses chœurs, ou le prêche distillé en zoulou sur le titre Ululation. En parallèle, le groupe ne se prive pas d’aller grignoter du côté du punk rock pour recracher, une fois mélangé à des condiments tribaux africains, un magma percussif qui ne peut s’empêcher de faire remuer la tête.
La puissance au service du message
L’impact des kicks et des basses s’autorise de faire germer, une fois pénétrés dans nos cœurs, une sorte d’appel à l’action.
Un branle-bas de combat, de danse surtout, sur fond de message politique. Les voix se tordent, exultent, hurlent ou bien chuchotent la condition des mineurs africains sur Rice, ou les violences policières sur I Saw. Dans ce chaos de percussions et de chœurs distillés comme on égrènerait du sable sur un tamis, le message propagé se fait presque injonction.
Le regain de puissance qu’a pris le hip-hop conscient à la fin des années 2010, grâce à des artistes comme Childish Gambino ou Kendrick Lamar par exemple résiste avec élégance contre la marée conformiste de l’apologie du crime et du capital. Bel exemple de cette mise à l’écart, le morceau Be Your Lady titille la féminité qui sommeille en chaque homme « I wanna be your lady, forgetting that i’m the man ».
Embrassant cette époque les yeux grands ouverts, Young Fathers met un poing au visage lourd et puissant au lissage du hip-hop qui, pour passer en playlist, se déshabille de son rôle initial. La contestation, l’offre d’un contre-courant à une société ou l’injustice sévit. Ni tapé au nom de la nostalgie, ni édulcoré par la faucille de la mode « grand public », Heavy Heavy s’impose sans concession comme une nouvelle référence d’un trio si talentueux, entre provocation et magie vaudou musicale.
Rayhan Arrar
Young Fathers – Heavy Heavy
Label : Ninja Tune / PIAS
Date de sortie : 3 février 2023