« Le Petit roi », de Mathieu Belezi : royal !

Après le magnifique Attaquer la terre et le soleil, qui concoure au Livre Inter 2023, Frédéric Martin des éditions Le Tripode a eu la lumineuse idée de rééditer le premier roman de Mathieu Belezi, Le Petit roi, publié en 1998 : Quel livre ! Quel Écrivain !

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© Cécile

Mathieu Belezi est un Écrivain, alors me direz-vous c’est quoi un Écrivain avec un E majuscule ? Un Écrivain c’est une personne sachant trousser des incipits marquants comme « Finissons-en » qui ouvre le Le Petit roi. Un Écrivain c’est une personne qui conclut son récit avec une phrase sidérant son lecteur (mais je ne vous la divulgâcherai pas). Un Écrivain c’est quelqu’un qui même si le héros du roman s’appelle Mathieu répond à un journaliste de Libération « Le Petit roi c’est un ouvrage autobiographique ? –  Ah non, certainement pas ! Je fuis comme la peste l’autofiction. A trop parler de soi, on en oublie d’imaginer. Et que devient la littérature si le souffle de l’imagination ne bouscule pas le lecteur ? ». Dont acte car cet Écrivain vous prend par le collet et sans ménagement pour ne plus vous lâcher pendant les 128 pages de Le Petit roi, c’est à la fois très doux et pas des plus reposants. Un Écrivain sait user d’un vocabulaire précieux et singulier, pas banal, ces mots qui vous arrêtent, qui vous obligent comme éphélide, écurer, sabouler, squames, j’en passe. Un Écrivain, désolé pour la tautologie (mais certains éditeurs l’oublient), sait écrire : « La sueur qui m’inonde le visage ne calme pas la rage de coureur que je feins d’avoir, et sous les sarcasmes des cigales, je monte en danseuse la côte jusqu’aux châtaigniers. ».

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Que pensez-vous qu’il arriva à un Écrivain comme Mathieu Belezi ? Toujours dans cette excellente interview faite par Alexandra Schwartzbrod dans Libération du 1er avril 2023, Mathieu Belezi raconte que le manuscrit d’Attaquer la terre et le soleil avait été refusé par toutes les grandes maisons d’éditions parisiennes : « Je me disais : c’est fini, je ne serai plus publié. Peut-être qu’un jour après ma mort, un jeune éditeur découvrant mes livres dans le bac d’un libraire des quais de Seine aura un coup de cœur et décidera de republier mon œuvre. ». Sur les conseils avisés de sa compagne Cécile (merci à elle) il a tenté une dernière chance en envoyant son manuscrit à la petite maison d’édition Le TripodeFréderic Martin, le jeune éditeur, s’enthousiasma, le publia et s’engagea à republier l’ensemble de son œuvre, soit une dizaine d’ouvrages à venir.  Gloire à ces petites structures, à ces passionnés de littérature !

Le roman qui ouvre le bal de ces rééditions est Le Petit roi publié en 1998 chez Phébus. Nous suivons Mathieu, pré-adolescent, abandonné par ses parents chez un grand-père vivant dans une ferme d’altitude dans le Midi de la France. Nous sommes dans les années 60 où « Les coudes sur la table, mon grand-père et moi écoutions le récit des exploits de Bahamontès dans les cols des Pyrénées. ». Comme il le fera 20 ans plus tard dans Attaquer la terre et le soleil, Mathieu Belezi entrelace deux récits : la vie quotidienne du jeune garçon avec son grand-père et la vie passée de Mathieu lorsqu’il était spectateur de la violence qui déchirait ses parents. Comme dans son roman précédent, l’auteur utilise, dans Le Petit roi, la ponctuation – supprimant les points finaux et les majuscules – pour nous faire plonger dans les réminiscences de l’adolescent qui revit les scènes de déchirement conjugal de ses géniteurs. Même s’il essaie de s’en dégager « Je dis à qui veut l’entendre que mes parents sont morts. Et pour convaincre les autres je suis prêt à user de mes poings. », son traumatisme est là et Mathieu n’est qu’un concentré de violence, de frustration et ce malgré l’affection rustre de son grand-père. Il se laisse parfois aller à : « – Papé, est-ce que tu m’aimes ? Il s’arrête, s’appuie sur le manche de sa pelle. – Qu’est-ce que tu me dis ? – Je te demande si tu m’aimes vraiment ? ».  Cela n’empêche que Mathieu passe l’essentiel de son temps à sadiser et à mettre à distance son entourage : un copain de classe, le chat, les poules, les truites, les insectes et le reste. Comme tout jeune pubère, il se consacre assidument à des activités onanistes. Dans la description crue, sensuelle, terrienne qu’il en donne Mathieu Belezi n’est pas sans rappeler Pierre Michon dont nous chroniquerons bientôt Les deux Beune.

Au-delà de ses qualités littéraires indéniables, qu’est-ce qui rend le récit de Le Petit roi passionnant (on le lit d’une traite) ? Notre héros est certes un être malfaisant – vous comprendrez les raisons du pourquoi – les rares apparitions de sa mère sont un modèle du genre – mais on s’attache à Mathieu et à suivre son existence dans cette France rurale des années 60, sa cohabitation avec son grand-père ne sont pas sans provoquer « un sacré effet madeleine », c’est du moins ce qui m’est arrivé et qui m’a ravi !

Lisez Mathieu Belezi, il est Écrivain.

Éric ATTIC

Le Petit roi
Roman de Mathieu Belzi
Éditeur : Le Tripode
128 pages – 15,00€
Date de parution : 9 mars 2023

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