Quentin Sauvé – Enjoy the View : sur la voie de la guérison

Quatre ans après son premier album, Quentin Sauvé plonge à nouveau dans les recoins de son intimité pour nous offrir Enjoy the View, ou le récit d’un homme qui, malmené par les tourments de sa vie effrénée, décide d’embrasser sa vulnérabilité.

Quentin Sauvé by Florian Renault
© Florian Renault

L’antinomie de genre est évidente entre post-hardcore et indie folk, et pourtant, entre Birds in Row et Quentin Sauvé on décèle une même opération du cœur sans anesthésie, où les poings se serrent et les émotions surgissent sans retenue. Seulement, c’est à son propre compte et guitare acoustique en main que le multi-instrumentiste peut s’en targuer cette fois-ci. Sur Enjoy the View concourent les existences plurielles de Quentin Sauvé, celle du bassiste de Birds in Row écumant les routes, et celle d’un homme qui, exténué, décide de ralentir le pas et prendre le temps de se recentrer sur lui-même.

Quentin Sauvé Whatever It Takes devait déjà sa force à la touchante sincérité avec laquelle Quentin Sauvé grattait ses arpèges et chantait sa mélancolie. Quatre années se sont écoulées depuis, et avec Enjoy the View, il creuse bien plus loin chacun des sillons qu’il avait empruntés sur son premier album. Cette fois-ci, c’est au studio Black Box, toujours entouré de son frère, Amaury Sauvé, que l’artiste s’est isolé pour enregistrer. A cette occasion, il a également convié Sofian Hamadaïne et sa caméra, afin de donner vie à un court documentaire « Rec/Stop », diffusé en quatre parties sur Youtube. A visionner, pour quiconque souhaite vivre l’expérience totale qu’est la musique de Quentin Sauvé, une immersion dans la vie d’un seul homme qui ne prétend pas faire légion, mais auquel on se lie indéfectiblement.

Magnéto à bandes et autres outils analogiques en main, l’artiste et sa fine équipe ont produit un album au grain unique et délicieusement imparfait. Reflections nous fait déjà la promesse d’une traversée qui épousera chacune des aspérités de la vie de son chanteur, qui tantôt prendra son temps, tantôt pressera le pas, sans jamais se départir d’une honnêteté à toute épreuve. C’est la voix d’un homme, accompagnée d’arpèges grattés avec force, à moins que ce ne soit l’inverse, que ce soit cette guitare tenaillante qui trouve écho en un chant épuré et sensible : les deux en réalité s’élèvent mutuellement, sans qu’on puisse imaginer l’un cheminer sans l’autre.

Contrairement à un premier album largement confiné dans la tristesse, l’excursion est cette fois-ci teintée d’autres couleurs ; Quentin Sauvé nous offre une lueur d’espoir sur Tunnel et nous chante sa rencontre avec le bonheur simple, celui qui finit bien par se pointer lorsque cessent de s’imposer à l’esprit mille et une questions dispensables. Le musicien se frotte ensuite à l’extrême sensibilité de Justin Vernon (Bon Iver) avec un titre éponyme chanté à fleur de peau, où il laisse couler silencieusement les larmes d’un homme désolé face à son impuissance à « profiter de la vue », emprisonné dans le tumulte vicieux de son existence.

Mais comment profiter de la vue lorsque, même en s’y efforçant de toute son âme, les perspectives s’affaissent et le corps s’engonce ? C’est ce qu’Horizon décrit, la terrible désillusion des confinements à répétition, des espoirs déçus, et de l’horizon qui s’efface. « My entire world is sinking down » est chanté comme un cri de détresse, porté par des chœurs pleurant les vestiges d’une vie passée.

Si Enjoy the View se fait le porte-parole d’une âme en peine, il porte aussi en son sein les clés de sa guérison. Synthétiseur et arpèges s’associent sur See You Soon, en une boucle enivrante sur laquelle Quentin Sauvé chante sa résilience face au deuil. Les guitares et percussions de Punches et Loophole confrontent quant à elles le musicien à l’homme torturé qu’il a été, avant de céder la place au doux piano de Nostalgia. Enfin, les doigts et le cœur abimés, c’est sur Random Streets que le musicien extériorise ses dernières angoisses, celles d’un homme épuisé par la tournée, tourmenté à l’idée d’être toujours parti, mais aussi à celle de revenir.

Quentin Sauvé est un être humain en proie à ses propres failles, mais qui tente de les réparer guitare et micro en main. Enjoy the View vient abriter son mal-être sans aucune emphase, toujours avec une poignante justesse. Ce n’est pas une leçon de vie, mais le récit sensible et non-linéaire d’un homme qui trouve le courage de se regarder en face pour y voir plus clair au sein de sa propre existence. Les lèvres salées, on s’extirpe doucement de son esprit, nous sans y avoir laissé un peu du nôtre.

Marion des Forts

Quentin Sauvé – Enjoy the View
Label : Hummus Records/Bright Colors
Date de sortie : 31 mars 2023