Le retour des Libertines provoque l’habituelle excitation chez leurs très nombreux fans, et il y avait foule jeudi soir aux Inrocks Festival 2024. La question demeure néanmoins : est-ce que tout ça est bien justifié ?
Tout le monde adore les Libertines… Tout le monde ? Non. Un petit groupe d’irréductibles passionnés du Rock résiste encore et toujours à la hype Libertines…
…Et, soyons sincères, nous en faisons partie, depuis le début des années 2000, quand Doherty et Barât ont commis le hold-up du (nouveau) siècle en répliquant en Grande-Bretagne le coup des Strokes Outre-Atlantique. Et ce ne sont pas les longues aventures décadentes du « poète Doherty » qui ont pu nous réconcilier avec la saga des Libertines… Il aura fallu en arriver à la superbe aventure musicale de Doherty et Frédéric Lo pour que nous comprenions enfin le charme délétère qui se dégageait de ce grand gamin perdu… Et c’est sans doute cette découverte, tardive certes, mais convaincante, qui nous a menés jeudi soir au premier rang de ce set des Libertines reformés (et revenus pour annoncer un nouvel album, à paraître en mars)… Un peu perdus au milieu d’une marée de fans de tous âges, émus et enthousiastes, qui ont envahi le grand hall du CentQuatre…
A 20h30, on attaque avec Eaves Wilder, jeune anglaise aux cheveux rouges et à la voix de gamine très visiblement influencée par Lily Allen : elle officie sur scène entourée par une guitariste et une bassiste, ainsi qu’un batteur, et propose un indie rock flirtant parfois avec une pop adolescente sucrée, qui attise automatiquement notre sympathie. C’est le premier concert que Eaves Wilder donne en France, elle est heureuse et émue, et va bénéficier de la sympathie du public… Même si, en toute honnêteté, ce qu’on entend sur scène manque de personnalité, et donne le sentiment d’assister au ressassement de musiques cent fois entendues au cours des dernières décennies : soit c’est un problème de défaut de mélodies accrocheuses (comme en proposait justement Lily Allen à ses débuts), soit c’est trop lisse… En tous cas, l’intérêt baisse peu à peu au fil des trente minutes du set. On retiendra, à la limite, la chanson I Stole Your Jumper, mais surtout parce que, pendant quelques instants, Eaves Wilder sort de sa gentillesse un peu fade pour traduire sur scène un sentiment plus fort de rejet d’un ex-boyfriend toxique.
Il est 21h30 et fidèles à leur légende, The Libertines n’apparaissent pas sur scène. Les minutes passent, le public proteste, et un rigolo est délégué pour nous faire patienter en demandant… qu’on l’insulte ! Bon, certains peuvent trouver ça drôle, ça nous a semblé surtout pathétique. 21h40, et Pete, Carl, John et Gary apparaissent enfin, avec un look prolo (du siècle dernier) à casquette pour les trois frontmen, et un beau survêtement flashy pour Gary. Up the Bracket lance le bal, à la joie générale : une bonne chanson, interprétée avec compétence, mais sans folie… Mais cette appréciation pourra être répétée pour Vertigo, qui lui succède, et pour chacune des vingt chansons de la setlist de ce soir. Suivant qu’on est un fan absolu des Libertines ou au contraire un sceptique, c’est un compliment ou une critique : les lads vont nous offrir une heure et quart d’un concert assez impeccable – la bonne tenue d’un Pete Doherty en forme n’y étant pas pour rien – mais également bien trop sage.
On a le sentiment que c’est plus l’enthousiasme du public qui porte la soirée que l’énergie du groupe, et c’est un problème. Si l’on excepte les intonations de plus en plus touchantes d’un Doherty qui a désormais cette voix enfantine, ce chant fragile qu’il s’est découvert (comme sur What Became of the Likely Lads, par exemple), il n’y a pas grand-chose qui sorte du cadre bien propre d’un concert Rock standard. Même les chansons du premier album – ils en interpréteront sept ! – semblent dépourvues de cet aspect débraillé, un peu chaotique qui faisait leur charme, et on ne peut s’empêcher de trouver certains passages du set bien longuets.
Heureusement Death on the Stairs et Time for Heroes bouclent impeccablement l’heure de set. Un break de cinq bonnes minutes – les Libertines n’aiment pas se dépêcher – avant un rappel conséquent, généreux presque, dont la pièce maîtresse sera un The Good Old Days qui dégage pas mal de magie, faisant regretter que toute la soirée n’ait pas été à ce niveau.
Voilà donc le genre de concert qui ne fera changer personne d’avis : les déjà convaincus seront heureux d’avoir vu leur groupe faire du bon travail, les autres n’auront rien entendu qui puisse justifier une conversion. Une sorte de match nul, en somme.
PS : Bonne nouvelle pour les amis des animaux, Doherty n’avait pas amené ses chiens sur scène…
Texte : Eric Debarnot
Photos : Robert Gil