« Il ne faut rien dire », de Marielle Hubert : faire mourir les fantômes du passé

Le deuxième roman de Marielle Hubert, fort et déconcertant, évoque les rapports mère-fille à l’approche de la mort de Sylvette, cette « enfant-mère » qui ne veut pas mourir de son cancer généralisé.

Hubert-Marielle
© Aurelie Foussard

Comme son entame, qui voit l’auteur souhaiter la fin rapide de sa maman, « il ne faut rien dire » étonne par la crudité des sentiments et des réflexions. Sylvette s’accroche à la vie, tarde à mourir de ce « quelque chose » qu’elle refuse de nommer cancer. Et sa fille décide, comme pour exorciser le passé et faire la paix avec les rancœurs ou secrets enfouis de souvenirs familiaux, d’évoquer sa vie obstruée de fantômes. Ces témoins compliqués de plaies non cicatrisées, comme autant de barrages à disparaître de ce monde en ayant tout résolu. Et l’écriture, probablement un catharsis des maux et des non-dits qui peuvent libérer enfin ceux qui ont souffert et qui font souffrir malgré eux.

il-ne-faut-rien-direPlus on avance dans ce roman âpre puis touchant, plus on comprend que la fille a toujours été trop liée à sa mère, cette femme restée enfant de 5 ans dans sa tête, traumatisée par des événements d’enfance au sortir de la Libération de la France. La grande Histoire semble un temps se mêler à celles de cette famille compliquée, faites de naissances féminines jamais désirées, de patronymes toujours modifiés (Sylvette fut nommée Françoise par son père, la fille Marcelle au lieu de Murielle), comme une valse des identités pour s’assurer de ne jamais en avoir une affirmée. Un déni de l’autre, qui restera comme une trace indélébile de frustration et de rancoeur.

Il ne faut rien dire n’épargne que peu les sentiments contradictoires, quand la haine le dispute à l’amour, quand on a besoin de sonder l’indicible pour être en paix avec soi-même, quand le pardon ne peut être donné que quand les vieilles plaies finissent par enfin être réparées. L’écriture est douloureuse, la lecture inconfortable et passionnée en même temps, la réflexion assez vertigineuse.

Tuer le passé pour enfin mourir en paix : triste mais nécessaire constat. Et avant les derniers adieux, témoigner par ce livre du véritable amour, contrarié mais obsédant, que l’on peut porter à ceux qui nous ont portés, élevés et vu grandir.

Jean-François Lahorgue

Il ne faut rien dire
Roman  de Marielle Hubert
Éditions P.O.L.
180 pages –  19€
Date de parution : février 2024