« Le problème à trois corps », de Liu Cixin : Fantastique !

Livre majeur de science-fiction à ranger au côté des plus grands, récemment adapté par Netflix, Le problème à trois corps, premier volume d’une trilogie, nous offre une intrigue haletante à propos des contacts entre une civilisation extra-terrestre et des terriens à bout de souffle… sur fond de révolution culturelle chinoise.

Liu Cixin
© Lin Yi’an

Si comme moi, vous n’avez plus ouvert un livre de science-fiction depuis plus de quarante ans, que vous parlez avec des trémolos dans la voix de K. Dick, Asimov, Orwell, P.J. Farmer, Huxley et consorts, que vous n’avez pas réussi à lire plus de trente pages de La Horde du contrevent de Damasio (malgré plusieurs tentatives), Le problème à trois corps de Liu Cixin ( prononcer « tseshin ») va vous remettre le pied à l’étrier galactique. Pour les autres – et même les réfractaires au genre – n’hésitez pas!

Le probleme a trois corps NE BabelJe ne me suis pas plongé dans ce livre grâce ou à cause de la série actuellement diffusée par Netflix réalisée par l’équipe de Game of Thrones (pas visionnée d’ailleurs), mais sur les conseils judicieux d’un libraire à qui j’ai demandé : « Conseillez-moi un bon livre actuel de science-fiction ! ».

Traduit en 2016 par Actes Sud (mais publié en Chine en 2008) Le problème à trois corps est le premier livre publié en France de Liu Cixin, œuvre récompensée aux États Unis par le prix Hugo en 2015, ce qui se fait de mieux coté récompense en SF : K. Dick l’a eu en 1963 avec Le Maitre du Haut Château.

Liu Cixin est un enfant de la révolution culturelle chinoise (1966-1976) et sa découverte de la littérature de science-fiction se fit au travers de Jules Vernes et de son Voyage au centre de la terre (la censure battait son plein…), plus tard après la libéralisation de l’ère Deng Xiaoping, il se passionnera pour Arthur C. Clarke l’auteur de 2001 Odyssée de l’espace (1968). C’est sans doute de telles influences qui font de Liu Cixin un formidable romancier, la structure de son récit, pourtant complexe, ne laisse jamais respirer le lecteur, sans pour autant le perdre. L’auteur est un ancien ingénieur d’une centrale électrique et excelle dans l’explication de concepts scientifiques pas des plus simples (mécanique quantique notamment). Cela ravira les spécialistes mais cela ne dégoutera pas les néophytes car il s’efforce toujours de ramener de manière synthétique et efficace le lecteur au cœur de l’intrique, bref encore une fois une prouesse littéraire.

Le roman démarre en pleine Révolution Culturelle chinoise en 1967 alors que tous les intellectuels sont pourchassés ou envoyés aux champs. Nous découvrons l’héroïne Ye Wenje une astrophysicienne en cours de « rééducation » à qui on offre la possibilité d’intégrer la Côte Rouge, un centre de recherche où trône un immense radar, elle y découvre un système de télétransmissions dirigé vers l’espace qui tente d’entrer en contact avec des civilisations extra-terrestres. Comme souvent (voire toujours avec la SF) la réalité rejoint souvent la fiction car la Chine a ouvert en 2016 (le roman est paru en 2008) un radiotélescope sphérique de cinq cents mètres d’ouverture pour capter des signaux extra-terrestres (Le MondeLiu Cixin, premier du genre – Novembre 2016).

Le Problème à trois corps nous permet de mieux appréhender l’absurdité et la violence de cette période qui a tant marqué la Chine et dont toute une génération (voire la suivante) porte encore les stigmates. Via des allers-retours entre 1967 et 2005, nous faisons la connaissance de Wang Miao, un chercheur en nanotechnologie, d’un inspecteur de police, haut en couleur, Shi Qiang ainsi que d’inquiétants membres de la Société Les frontières de la science sans oublier Ye Wenje que nous retrouvons trente-huit ans après son arrivée à la Côte Rouge. Le récit oscille alors entre pure science-fiction, intrigue policière, roman civilisationnel. C’est bien la force du Problème à trois corps. Ce que nous raconte l’auteur, nous le vivons déjà au quotidien (c’est pourtant écrit en 2008) : le changement climatique, la destruction de la nature terrienne, des États incapables de s’entendre mais tout juste bons à se faire la guerre, une science dont on interroge la finalité…et c’est là d’où surgit le déclic du livre… Une série de suicides parmi les scientifiques inquiète les autorités. Un physicien célèbre écrit, ainsi, avant de se donner la mort : « La physique n’a jamais existé et n’existera jamais. Je reconnais que c’est irresponsable, mais je n’ai pas d’autre choix. ».

Wang Miao, notre autre héros est sollicité par les autorités pour enquêter sur ces disparitions ainsi que sur les membres des frontières de la science. Par l’entremise de ces derniers, il va participer à un jeu vidéo en ligne appelé Le problème à trois corps, soulignons une fois encore le talent de Liu Cixin qui nous fait rentrer dans une nouvelle dimension en nous faisant découvrir virtuellement (car c’est un jeu du moins le présume-t-on) Trisolaris et la civilisation trisolarienne… Même si Corneille l’avait fait avant lui dans L’illusion comique, reconnaissons une nouvelle fois à Liu Cixin sa qualité d’écriture. Par le biais de ce jeu vidéo, Wiang Miao et le lecteur découvrent une civilisation dont le problème majeur est d’être soumise à une alternance de cycles de développement puis de chaos provoqués par un système à trois soleils…Cette partie du récit est un moment de bravoure hors norme puisque Liu Cixin arrive à mêler notre histoire scientifique, philosophique et humaine bien réelle à des purs récits d’anticipation. Brillant !

[Netflix] « Le problème à 3 corps » : le défi impossible

La dernière partie du Problème à trois corps qui nous incite (sans rechigner) à lire les deux tomes suivants La Forêt sombre et La Mort immortelle nous révèle une partie de la dure réalité de la civilisation trisolarienne (car ils existent) et leur sombre dessein (qui s’explique), inutile de dire que nous, pauvres terriens, ne nous montrons guère à la hauteur, une fois de plus.

Pour les plus allergiques à la science-fiction, il est bon de souligner que Liu Cixin réussit la prouesse de nous brosser un univers à la fois très éloigné du nôtre (son imagination est fertile) tout en en étant très proche car nous en sommes arrivés à nous dire que désormais tout est possible…

Le Problème à trois corps est un roman important car par le biais d’un récit brillant (sans être ennuyeux), le livre embrasse nos problématiques actuelles et futures : devenir de la Terre, rôle, instrumentalisation de la science et sidération de l’espèce humaine face à ces défis. Last but not the least, c’est écrit par un auteur chinois (donc pas Étatsunien), il évite de nous servir le gloubi-boulga des GAFAM tout en n’ignorant pas les usages néfastes que l’on peut faire de la technologie. Plus que recommandé.

Éric ATTIC

Le problème à trois corps
Roman de Liu Cixin
Traduction du chinois par Gwennaël Gaffric
Actes Sud / Collection Babel
512 pages – 11€
Date de parution : Février 2024

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