« Trystero », de Laurent Queyssi : écrire pour résister

Dans un univers dystopique et autoritaire, un romancier sort de prison et s’attelle à la rédaction d’un manuel d’écriture. Trystero, le nouveau roman de Laurent Queyssi, conjugue roman et essai, anticipation et réflexion sur l’art. Passionnant et essentiel.

Laurent-Queyssi

Sans avoir jamais rencontré Laurent Queyssi, on imagine que ce nouveau roman, Trystero, est sans doute son projet le plus personnel à ce jour. Écrire un livre dont le sujet est l’écriture ne peut qu’être l’œuvre d’un auteur expérimenté – une œuvre sans doute longuement pensée avant d’être écrite. Romancier, scénariste de bandes-dessinées, traducteur (de William Gibson notamment), grand connaisseur de Philip K. Dick et d’Alan Moore, Laurent Queyssi travaille depuis plusieurs années à la construction d’une œuvre protéiforme mais d’une grande cohérence, au sein de laquelle Trystero pourrait bien constituer une charnière : une sorte d’aboutissement du travail déjà réalisé, mais aussi le point de départ de tout ce qu’il lui reste à créer.

Dans ce nouveau livre, Queyssi donne la parole à un romancier à succès, un certain Bruno Trivanen. Dans un monde futuriste où les nouvelles technologies sont omniprésentes (implants, réalité augmentée, I.A.), il est l’un des derniers grands auteurs populaires. Son nouveau livre, celui qu’il écrit et que l’on tient entre nos mains, est un manuel d’écriture adressé à tout « apprenti » romancier. Trivanen y expose sa conception du travail de l’écrivain. Une grande partie des chapitres de Trystero s’apparentent ainsi à une sorte d’essai qui n’est pas sans évoquer le célèbre livre de de Stephen King, Écriture : Mémoires d’un métier. C’est absolument passionnant et si l’on sait très bien que Trivanen n’est pas Laurent Queyssi, on imagine que le romancier (le vrai) a mis beaucoup de lui-même et de ses méthodes de travail dans la rédaction de ces pages. Il y évoque la construction des personnages, le rapport au réel et à l’imaginaire, le choix d’un point de vue narratif, la question de l’inspiration, etc. – autrement dit, toutes les questions qu’un apprenti romancier doit se poser à un moment ou à un autre. Et Bruno Trivanen/Laurent Queyssi fournissent des réponses et des conseils d’une grande pertinence.

Mais Trivanen se confie également sur lui-même, il se raconte et dissémine des indices qui nous permettent de construire progressivement l’arrière-plan romanesque de ce manuel d’écriture. Car Trystero est bien un roman, avec une histoire, des personnages, un décor… On comprend ainsi que notre personnage-romancier vit dans une Europe dominée par l’Alliance, entité étatique autoritaire qui a cherché à le museler, lui qui a inventé un personnage devenu une source d’inspiration pour certains groupes contestataires et révolutionnaires. On sent alors poindre l’influence d’Alan Moore et son célère V for Vendetta : V, le personnage principal, un anarchiste dissimulant son identité derrière un masque de Guy Fawkes, qui a à son tour influencé plusieurs mouvements protestataires (les Anonymous, l’Occupy Movement…). Sorti de prison, surveillé en permanence, Trivanen fait ce qu’il sait faire : écrire. Écrire pour survivre, pour lutter, pour résister.

Les influences dont Laurent Queyssi se nourrit depuis des années infusent ainsi dans ce roman qui revendique haut et fort le droit à l’appropriation d’idées : « les idées sont partout. Accessibles à tout le monde. L’essentiel est de percevoir celles qui sont dans l’air, de s’en emparer, de les façonner. » Pour Queyssi, tout écrivain doit être avant tout un lecteur et un observateur. Il devient ainsi une sorte d’éponge qui absorbe des idées – idées qu’il dépasse en les transformant, en les modelant grâce à sa propre imagination.

Trystero est donc l’œuvre d’un romancier qui connaît la dette qu’il a contractée auprès des auteurs qu’il fréquente depuis longtemps : Alan Moore, Thomas Pynchon, et bien d’autres. Mais Trystero est aussi une réflexion sur l’acte de création et son importance dans un monde qui cherche justement à faire taire toutes les voix dissonantes et discordantes. Car c’est bien l’enjeu de ce roman : rappeler le rôle essentiel que jouent les artistes et les auteurs dans un monde où règne le chaos.

Grégory Seyer

Trystero
Roman de Laurent Queyssi
Éditions Mnémos, collection MU
192 pages – 19 €
Date de parution le 10 avril 2024