Gros coup de chaleur hier soir à Petit Bain, avec un set formidablement généreux des bluesmen punks de Left Lane Cruiser : bière et décibels à volonté, on aurait dit le Sud…
Le dernier passage à Paris du duo de punk blues, Left Lane Cruiser, lors d’une Nuit de l’alligator à la Maroquinerie, ne nous avait pas laissé un souvenir impérissable. Programmé trop tard, passant après un Jerron Paxton stratosphérique, et souffrant d’incessants problèmes d’accordage, le groupe avait même – quelle tristesse – vidé peu à peu la salle ! Une aberration pour des gens dont la musique, enragée mais généreuse, est faite pour fédérer son public dans une orgie sonore cathartique. Heureusement, la parution de leur nouvel album, Bayport BBQ Blues, très « nourrissant », nous a rassurés et encouragés à être là ce soir à Petit Bain.
19h30 : la soirée commence sous les meilleurs auspices possibles, puisque ce sont les Strasbourgeois heavy blues de Dirty Deep qui ouvrent pour Left Lane Cruiser. Bon, on utilise le pluriel, car on attendait un trio, mais on a en face de nous un one man band, Victor Sbrovazzo officiant tout seul avec ses guitares électriques, son harmonica et sa batterie. Le format one man band n’est pas une aberration pour Dirty Deep, car il s’agit, rappelons-le, de l’origine du groupe… même si Victor reconnaît n’avoir pas joué seul comme ça depuis… dix ans ! Bon, on ne le dirait pas, car chacune des 45 minutes de son set sera excellente, aussi bien techniquement qu’émotionnellement… Peut-être aussi parce qu’une partie de la setlist – comme les excellents Low Down et, surtout, Bottleneck, en clôture – provient de son album de l’époque, Shotgun Wedding. Stylistiquement, on est assez proche de Left Lane Cruiser, en un peu moins hystérique quand même. En tous cas, une excellente première partie, qui donne envie de voir le groupe au complet. Dommage que la majorité du public, comme c’est malheureusement souvent le cas à Paris, ne soit pas arrivé assez tôt pour en profiter !
20h30 : Joe Evans IV et Brenn Beck se sont installés tranquillement pour faire leurs derniers réglages, et puis se sont lancés dans leur set sans faire de chichis, parfaite image de l’esprit « artisanat punk » qu’on aime tant, dans n’importe quel genre de musique. Et leur genre à eux, pour ceux qui ne le sauraient pas encore, c’est le « country blues » du Nord Mississipi – même si eux-mêmes viennent de l’Indiana. Mais un blues joué au lance-flammes, et après avoir ingurgité un maximum de bières pour être dans un état d’ébriété correct, et fumé quelques substances naturelles mais illicites pour se relaxer (une recette qu’ils préconiseront régulièrement durant leur heure quarante-cinq minutes de set) : une musique qui n’est pas faite pour les estomacs délicats, surtout que Joe Evans IV vocifère comme un damné entre les chansons aussi, dans un américain rugueux et parfois difficilement intelligible (on préfère nettement quand Brenn prend la parole, outre le fait qu’il est très sympathique, on comprend ce qu’il dit…).
De la première à la dernière note, ce soir, et à la différence d’il y a deux ans à la Maro, le set sera parfait, que ce soit au niveau du son – avec un ampli de guitare qui nous napalme les oreilles au premier rang -, de la lumière, et surtout de la setlist, qui enchaîne des tueries – parfois difficilement reconnaissables, surtout avec les hurlements continus de Joe. Pas de problème d’accordage trop long cette fois non plus : Brenn nous fait la causette pendant que Joe se concentre sur son boulot, tout ça est bien cool. Naturellement, les bières, réclamées à grands cris, sont livrées régulièrement aux deux acolytes, qui en font une consommation impressionnante (à la fin, Brenn reconnaîtra être un peu en état d’ébriété…). Un moshpit se forme très vite au centre de la salle, mais, bien que les empoignades y soient vigoureuses, le fait que le concert ne soit pas totalement sold out, ainsi que la politesse générale font que le reste du public ne sera pas brutalisé, permettant que la soirée se passe dans la bonne humeur générale.
Inévitablement, il y a un moment en milieu de soirée où l’on fatigue devant un tel assaut sonique, mais cette fois, Left Lane Cruiser savent relancer la machine, et montent même de plus en plus en puissance, pour nous offrir une dernière demi-heure de set quasiment parfaite, mêlant excitation punk et splendeur blues : Big Moma Shake, Hillgrass Bluebilly et Black Forest Blues seront les titres les plus mémorables, même s’il faut bien avouer que, dans le chaos brûlant qu’est la musique de Left Lane Cruiser, il est difficile de retrouver les chansons qu’on connaît… Victor rejoint le duo et vient ajouter son harmonica sur les derniers morceaux. Le public est à fond, Brenn invite cinq ou six personnes ravies à monter sur scène l’aider aux percussions.
Et quand c’est fini, ça recommence, Joe et Brenn reviennent pour continuer à jouer (aucune envie de s’arrêter, visiblement !), et il faut que la direction de la salle leur demande d’en rester là alors qu’ils attaquent un second morceau de ce rappel visiblement non prévu !
Bref, une soirée blues sonique, d’une générosité absolue, bien arrosée à la bière comme il se doit. Et une plongée joyeuse dans le Sud profond des USA, mais un Sud qui, en dépit de sa rudesse et de son occasionnelle trivialité, est bien loin des valeurs réactionnaires claironnées par Trump et consorts.
Texte : Eric Debarnot
Photos : Robert Gil