La Conversation, troisième album de Lenparrot et premier intégralement en français, vient confirmer toutes les espérances que les deux disques précédents avaient annoncées. L’émergence d’une identité puissante et singulière, fière de ses références et fière de s’en affranchir. On sait désormais qu’il faudra compter sur le nantais Romain Lallement pour faire prendre à la Pop des chemins de traverse.
L’hypersensibilité, ce haut potentiel de la réaction à l’émotion, on ne cesse d’en entendre parler comme si notre société singulièrement recroquevillée sur elle-même n’avait de cesse de ruminer sur elle-même dans un « ego trip ». Mais la vraie hypersensibilité est tout sauf un atout, est tout sauf une qualité. Au contraire, cela relève peut-être même plus du handicap. Imaginez une seconde un corps en proie à tous les stimuli, à ces détails infimes et invisibles que personne ne perçoit, sur lesquels on ne s’attarde jamais. Etre hypersensible, c’est avoir en permanence l’esprit aux aguets, perpétuellement menacé par des impressions sourdes. Parfois, il est bien difficile de comprendre ou de traduire ce qui relève de la seule impression. Les artistes qui parviennent à nous interpeller, à nous arrêter dans notre routine maussade, ne peuvent qu’être des hypersensibles plus chargés et encombrés par leur empathie. Ils ne voient que l’envers du décor, ils traduisent ce que le corps ne parvient à cacher, ce que les mots n’osent dire.
C’est cette élégance-là toute humaine qui s’exfiltre de ce troisième disque du nantais Romain Lallement, La Conversation. Rien que le nom bien choisi donné à cet album pose un peu le contexte. La musique de Lenparrot se veut comme une échange, comme la perpétuation et l’affirmation entre les êtres. Le disque joue de son indécision entre une forme de nouvelle épistolaire et des climats de journal intime. Clamant haut et fort avec ce caractère modeste qui fait les oeuvres attachantes, La Conversation chante le futile dans ce qu’il a d’essentiel. Elle ne raconte rien mais le dit si bien. Il y a intrinsèquement dans la musique de Romain Lallement comme une sorte de dilettantisme frelaté ou de façade, c’est à vous de choisir. Il y a dans sa manière d’écrire les mots et les arrangements soyeux comme une recherche d’effacement, un peu comme ces grands timides qui s’excusent d’être encore là, qui s’excusent d’exister, ces inadaptés précieux qui se voient inutiles. Il se dégage pourtant de ces individus une distinction raffinée et une profondeur magnétique.
En combinant la légèreté et la tourmente, Romain Lallement passe son temps à nous faire subir l’épreuve de la douche écossaise. Chaud puis froid… Chaud et encore froid… On est comme ankylosés, comme groggys. Pourtant les lignes mélodiques s’appuyent sur une ligne claire, sur une volonté de transparence à tel point que de prime abord, les chansons de Lenparrot peuvent sembler diaphanes voire académiques. C’est peut-être justement là que l’on perçoit toute l’hypersensibilité généreuse du nantais, cette humilité toute simple, cette volonté à ne pas faire d’effet de manche, à aller droit au but comme seule la Pop anglaise sait habituellement le faire. Dans les arrangements riches et discrets, on retrouve un peu ce que l’on entend dans les disques de Stereolab, dans ceux de Sean O’Hagan. Dans ces climats doux-amers, on pourrait presque glisser des liens de parenté avec la Cabane de Thomas Jean-Henri.
Sans toi, je ne serais plus de ce monde
parfois, cela ne prend qu’une seconde
les méthodes que l’on emploie sont immondessoudain, dans la conversation
se faufile une ancienne émotion
j’en déduis que notre relation
n’a rien d’une illusionExtrait de La Conversation
Il y a quelque chose de solaire dans ces lignes presque oniriques d’un disque que l’on devine enregistré dans le microcosme d’une petite communauté chaleureuse. Rien de surprenant donc à apprendre donc que La Conversation a été enregistrée dans la bergerie rénovée de la famille Savary (Jérôme et sa fille Nina) dans les Corbières. Il y a comme un retour à l’essentiel, à une forme de dénudement dans ces onze chansons comme des odes à des terres promises. Si l’on rajoute que l’on retrouve à la production Emmanuel Mario alias Astrobal auteur du magnifique Australasie en 2016 et cela donne encore quelques indices sur cette quête esthétique. Déjà à l’époque, Mario tentait avec réussite de créer un lien entre l’évidence d’un Bertrand Burgalat, le souci de faire place à un peu d’abstraction du trop rare Arnaud Fleurent-Didier (avec qui Mario a d’ailleurs collaboré), le ludisme de François de Roubaix combiné à cette science dramatique et narrative du Georges Delerue des Deux Anglaises Et Le Continent, la musique du film de François Truffaut de 1971.
Car ce que l’on comprend de cette collaboration étroite entre Romain Lallement et Emmanuel Mario, c’est cette recherche orchestrale dans la musique de Lenparrot aussi bien dans des arrangements discrets que dans une certaine grandiloquence. Comme un mantra qui cherche à croire en lui-même, à se convaincre, Lallement nous exhorte à faire confiance en notre vertige. L’écriture est très riche, littéraire, un peu surannée avec un je ne sais quoi de fin de siècle. Il y a du maniérisme dans ces chansons étranges, un peu fragiles. Du maniérisme, oui mais jamais de surjeu. Du maniérisme, oui mais au service de ce dialogue avec nous.
c’est facile de quitter la terre
sans mettre tout le monde au courant
les larmes coulent plus vite en plein air
je ne trouve pas ça surprenantExtrait de En Plein Air
Romain Lallement pose son regard d’hypersensible sur nos rapports humains, il raconte ces petits cataclysmes personnels que sont les pertes et les deuils. Il n’y a pas de clé pour entrer ici mais il n’y a pas non plus d’hermétisme. C’est avant tout un disque libertaire, ouvert et qui laisse à chacun de travailler à travers ses notes et ses mélodies sa propre histoire et son vécu.
Vivre l’hypersensibilité et s’assumer en tant que tel, c’est ne rien imposer à l’autre et plutôt donner à partager dans une conversation, offrir ce que l’on donne pour peut-être recevoir en retour.
Greg Bod