Autobiographie de Werner Herzog, Mémoires – Chacun pour soi et Dieu contre tous rivalise rayon épaisseur romanesque avec toute la légende entourant ses films les plus célèbres.
Werner Herzog, c’est d’abord l’arbre de de sa collaboration avec Klaus Kinski, être humain détestable mais personnalité incontournable dès qu’il est question d’histoire du cinéma allemand et du western spaghetti. Des tournages infernaux et une relation fascination/détestation racontés par le documentaire Ennemis Intimes.
Justement, cet arbre cache la forêt d’une abondante et passionnante œuvre de documentariste. Un pan de l’œuvre du cinéaste faisant arpenter les abords de la Soufrière, l’Antarctique, les couloirs de la mort aux Etats-Unis et les grottes de Lascaux. Herzog, c’est aussi un metteur en scène d’opéras… et un acteur pour des projets plus (Jack Reacher avec Tom Cruise) ou moins commerciaux.
Mémoires – Chacun pour soi et Dieu contre tous est une autobiographie non linéaire, dans laquelle Herzog va revenir au besoin sur tel tournage évoqué quelques pages plus tôt. La presse française a abondamment rendu compte du livre, à juste titre. A été souvent soulignée l’aspiration du cinéaste à une forme d’élévation mystique.
Mais chez Herzog la métaphysique n’existe jamais hors le concret. L’aspiration à voler au propre et au figuré se retrouve incarnée ici dans la fascination pour le saut à ski. Herzog justifie aussi sa détestation de l’art contemporain parce que selon lui le concept y primerait sur le concret.
Il y a chez lui une forme très anglo-saxonne de pragmatisme et de goût pour l’action pure. Il n’est pas étonnant qu’il déteste la psychanalyse. Il se vante de pouvoir deviner des choses en regardant le visage des gens. Sa bien connue non-peur des conditions extrêmes de tournage est ici abondamment documentée. Lorsqu’Errol Morris lui demanda où trouver le financement pour réaliser un documentaire, Herzog lui répondit par exemple de commencer par tourner et qu’ainsi l’argent finirait par venir.
Il est peut-être plus proche d’un Kitano cinéaste par accident ayant construit sa manière de filmer sur le tas que des deux autres ténors du Nouveau Cinéma Allemand (Wenders, Fassbinder). Ces derniers étaient en effet des cinéastes cinéphiles, frères en cela des initiateurs de la Nouvelle Vague hexagonale.
Il est bien sûr question d’histoire allemande. Herzog charge d’une valeur symbolique le fait d’être né à proximité temporelle des débâcles nazies sur les fronts russes et nord-africains. Le tableau des conditions de vie difficiles au lendemain de la guerre fait ressurgir des images du Mariage de Maria Braun de son collègue Fassbinder. Herzog s’interroge aussi sur des sujets tels que la notion de mémoire collective, la différence entre l’intelligence exigée par le système scolaire et celle permettant l’exercice du leadership, l’existence des fake news des siècles avant internet, la nécessite pour l’Art de prendre quelques libertés avec le réel pour atteindre une certaine vérité…
On croise enfin dans le livre tel proche, tel ami ayant servi de soutien ou d’inspiration à un projet. Et des figures hautes en couleurs telles que Onoda, Jagger, Brando, Tyson ou le producteur seventies autodestructeur Jean-Pierre Rassam.
Aucun autre cinéaste n’aurait sans doute accordé dans ses mémoires la même importance à un match de foot entre cinéastes et acteurs à Cannes l’année de la présentation d’Aguirre, la colère de Dieu et à un incident de tournage du même film. Ces mémoires peuvent parfois caler mais rivalisent dans leurs meilleurs moments avec le pouvoir de fascination des meilleurs films du cinéaste.
Ordell Robbie