Il s’agit du premier roman traduit en France du gallois Morgan Greene, salué par Chris Whitaker et Jo Nesbø, ce qui n’est pas rien. Et encore une fois, c’est une très bonne pioche pour les Editions Sonatine qui s’affirment, plus que jamais, comme une référence en matière de romans noirs et polars, tant ce thriller se révèle d’une rare efficacité.

Le roman démarre pied au plancher avec une mémorable scène d’ouverture dans laquelle on assiste en direct à l’assassinat de Sammy Saint-John par trois camarades lycéens, deux garçons et une fille ; on sait même qui l’a achevé à coup de pelle et que le corps a été enterré quelque part dans la montagne proche de la petite ville de Savage Ridge, Etat de Washington. Emmy, Nicholas et Peter ont bien été interrogés par la police, mais l’enquête n’a rien donné, aucune arrestation, aucun corps retrouvé non plus. Le père puis le grand frère du jeune homme disparu, convaincus qu’il n’a ni fugué ni ne s’est suicidé, persuadés que Nicholas et sa bande l’ont tué, engagent leur fortune pour payer des détectives privés afin de découvrir la vérité.
Le roman ne repose donc pas sur le classique « Qui l’a fait » mais sur le pourquoi d’un tel meurtre de sang, ainsi que le comment tant le plan qu’ont élaboré les trois jeunes semblent impeccables puisqu’ils ont un alibi imparable. Ce type de procédé littéraire ne peut fonctionner qu’en reposant sur une construction bétonnée. Celle de Tous des animaux est en béton armé !
Quand on lit beaucoup de polars, on peut être lassé voire agacé par le recours devenu presque systématique à la double temporalité, avant / après, passé/présent. Mais ici, cela prend tout son sens car dans leur pacte post-assassinat, les trois lycéens s’étaient jurés de ne jamais revenir à Savage Ridge, encore moins en même temps, encore moins de se parler. Et pourtant, dix ans après, c’est bien ce qu’il se passe, et évidemment, ce n’est pas un hasard. Morgan Greene alterne donc les temporalités mais également les points de vue : ceux des anciens lycéens désormais âgés de 28 ans, le frère de l’assassiné désormais à la tête de l’entreprise familiale, le shérif et les deux principales détectives privées.
La narration est d’une grande habileté, chaque court chapitre permet au lecteur de collecter une petite pièce du puzzle qui lui servira plus tard, et qui dans l’immédiat crée une petite musique désaccordé. On a le temps de bien observer les répercussions du crime sur les différents protagonistes, comment chacun est affecté à des degrés divers,, quelles ont été leurs manœuvres pour survivre à la culpabilité et à la violence. Leur histoire finit par rentrer dans notre tête et fait poser mille questions sur ce que nous aurions fait à leur place, quitte à faire évoluer notre regard sur les faits et les personnages. C’est d’ailleurs fort troublant de sentir son propre positionnement face au Bien et au Mal se déformer et être à ce point remis en cause lorsque se révèlent le mobile du crime et ses ramifications
Morgan Greene déploie une gestion experte du rythme, multipliant les sous-intrigues, les rebondissements et fausses pistes, nourrissant un suspense propulsif qui culmine jusqu’à un formidable coup de théâtre, la dernière pièce du puzzle qui a un petit côté jubilatoire tant il est inattendu et somme toute logique.
Le récit est captivant, impossible à lâcher une fois démarré. En fait, il ne lui manque pas grand chose pour le faire passer de la catégorie « excellent thriller page turner » à grand roman. Si les personnages sont bien caractérisés, principaux comme secondaires (mention spéciale à la détective privée hors du commun qui enquête dans la section dix ans après), aucun ne soulève l’émotion qui teinterait les pages d’une intensité et d’une urgence à couper le souffle.
Marie-Laure Kirzy