Pas de déception avec cette seconde saison de Severance, qui réussit à nous emballer de nouveau tout en s’ouvrant sur le monde extérieur, en revenant sur le passé, bref, en complexifiant follement son univers et son histoire. Une réussite totale.

Avril 2022. On est sous le choc de Severance, dont la première saison vient de se terminer par un cliffhanger insoutenable. On jure qu’il s’agit de la meilleure série TV de Science-fiction qu’on ait jamais vue. On se demande comment on va bien pouvoir attendre un an pour découvrir la suite des « micro-aventures » paranoïaques de Mark, Helly, Dylan et Irving, quatre employés de la mystérieuse et effrayante compagnie Lumon, condamnés à vie à effectuer des tâches absurdes dans un environnement d’une blancheur inhumaine. Un an ? Nous aurons attendu trois bonnes années cette seconde saison d’une série qui, nous révèle-t-on, est la plus chère jamais produite par Apple TV+ (pourquoi ? pour filmer des bureaux blancs ? s’interrogent les mauvaise langues !), mais aussi le plus gros succès (et c’est mérité…) de la plateforme.
Le problème de ces trois années écoulées, c’est évidemment que le charme s’est évaporé, que les souvenirs sont trompeurs (enfin, pour ceux qui n’ont pas pris la sage décision de revoir la première saison avant de se lancer dans la seconde), et qu’il est un peu difficile de se replonger « à froid » dans un monde aussi « étranger » et dans une histoire aussi retorse. Et de fait, le premier épisode, qui renvoie Mark (Adam Scott, qui va avoir cette fois un spectre d’émotions bien plus large à interpréter) au boulot, et semble repartir à zéro dans un univers de répétition, déçoit.
Heureusement, les neuf suivants s’avéreront aussi extraordinaires que nous l’espérions, avec des changements de registre qui font fortement dévier et l’histoire, et l’atmosphère de la série : Severance s’émancipe de l’univers clos et anxiogène de la première saison, développe son intrigue de plus en plus mystérieuse dans le monde réel, celui des « outies » (exters, en VF… mais s’il vous plaît, évitez la VF !), un monde finalement tout aussi décalé… ce qui fait naître en nous de nouveaux doutes : la réalité est-elle vraiment la réalité, ou sommes-nous dans des réalités enchâssées comme des poupées russes ?
Plus franchement SF, plus franchement terrifiante, déportant son propos au delà de l’aliénation au travail, et s’attaquant au sujet de la nocivité sociétale et politique des grandes compagnies de High Tech, aux mobiles inavouables, Severance nous offre cette fois des flashbacks dans la vie passée de Mark et de son épouse disparue, mais aussi dans la naissance de la technologie de la dissociation, avec des effets contradictoires sur notre compréhension de ce qui se passe : on y voit progressivement plus clair sur les desseins de Lumon, mais, inversement, on découvre qu’une bonne partie des personnages ne sont pas ce que nous pensions qu’ils étaient jusque là !
Plus émotionnelle puisque l’Amour s’invite au programme, compliquant encore plus la situation, Severance est aussi plus dure, plus violente, en particulier dans un dernier épisode, Cold Harbour, remarquable (quelle mise en scène de Ben Stiller, décidément bien meilleur ici que dans ses films de cinéma !), mais introduisant une violence physique inédite dans la série. La saison 2 de Severance multiplie les moments inoubliables : l’aventure de nos héros dans des décors grandioses du Nord de l’Amérique, lors de l’épisode de « l’activité en groupe » de Woe’s Hollow, avec un twist terrible qui relance la série, l’épisode 4 ; la découverte des sévices infligés à une autre prisonnière de Lumon dans le terrifiant septième épisode, Chikhai Bardo ; et bien sûr, le « triomphe de l’amour » au plein cœur de l’enfer, dans les scènes finales, marquantes, de la saison.
Pas de doute, et même si cette fin de saison est tellement belle qu’on aurait presque envie que l’histoire s’arrête là (peu importe que nous n’ayons pas encore tout compris !), Severance a confirmé sa position d’œuvre télévisuelle majeure. Une sorte de croisement entre le Prisonnier et Twin Peaks, le tout actualisé pour intégrer les angoisses modernes de l’aliénation et du retour du fascisme via la toute-puissance du capitalisme.
Génial.
Eric Debarnot