Stupéfiant retour en grande forme de la série de Charlie Brooker, avec cette septième saison qui contient ce qui est peut-être le meilleur épisode de son histoire, et dresse un portrait brillant et terrifiant de notre réalité en 2025…

La transition de la production de Black Mirror de la BBC à Netflix a marqué, sans que ce soit une surprise, une nette régression de la formidable création de Charlie Brooker : son « américanisation » (partielle mais indiscutable) et sa tentative – consciente ou non de la part de Brooker – de traiter des sujets plus universels, plus lisses aussi, l’ont rendue moins pertinente, moins tranchante, moins bouleversante, et dans ses deux dernières saisons, décevante. C’est dire qu’on n’attendait pas forcément des merveilles de cette nouvelle bordée de 6 épisodes… et combien on a été littéralement scotchés par ce qu’on y a trouvé… qui place cette septième saison parmi les toutes meilleures !
On démarre fort avec un premier moyen-métrage (56 minutes), Common People, qui est peut-être la meilleure chose qu’on n’ait jamais vues dans Black Mirror : proche, très proche de notre (triste) réalité actuelle, on y est témoin de la descente aux enfers d’un couple US aimant (Chris O’Dowd et Rashida Jones, formidables…) qui, suite à une tumeur au cerveau chez elle, se trouve englué dans un système violemment pervers, les obligeant à payer toujours plus pour pouvoir « vivre normalement ». Face à un système ultra-capitaliste qui n’a plus aucune considération pour l’être humain, face à la privatisation du système de santé, face à l’obsolescence programmée qui oblige à consommer toujours plus, face à la laideur brutale des réseaux sociaux, comment l’amour, ou même la simple humanité peuvent-ils même espérer résister ? Common People est, en dépit de sa technologie futuriste, totalement réaliste, totalement cohérent avec ce que nous vivons tous les jours (aux USA un peu plus qu’en Europe, certes…). C’est une heure de télévision, ou même plutôt de cinéma, bouleversante, dévastatrice. Un pur chef d’oeuvre.
Alors on espère – et on craint aussi – que les 5 autres épisodes soient aussi forts. Ils ne le sont pas, malheureusement… ou peut-être heureusement, en fait. Mais, hormis le ratage (relatif, car cela reste très « fun ») de Plaything, qui utilise la capacité bien connue de Peter Capaldi à jouer les sociopathes pour imaginer la contamination de notre réalité par un jeu vidéo, les quatre autres épisodes sont tous d’un excellent nouveau.
Le plus beau est certainement le cinquième, Eulogy, bouleversante exploration mémorielle – supportée par de vieilles photos et par une technologie permettant de s’y immerger – d’une histoire d’amour ratée : Giamatti y apporte son immense talent, les images sont régulièrement magnifiques, et on en sort le cœur brisé.

On parle beaucoup de USS Callister: Into Infinity, qui est le second épisode (non annoncé à l’origine) d’une histoire qui en comportera trois, débutée avec USS Callister dans la saison 4. On y retrouve les clones de l’équipe d’une entreprise de conception d’un jeu vidéo, qui sont désormais prisonniers de ce jeu, et tentent de survivre. Avec 1h30, c’est sans doute un peu long, un peu trop riche en péripéties pour être totalement satisfaisant, mais avec une Cristin Milioti et un Jesse Plemons pour nous guider entre la réalité et le monde virtuel de « Infinity », on est entre de bonnes mains, et le plaisir est là.
Hôtel Rêverie soufre également de longueurs – en 45 minutes au lieu d’une heure et quart, il aurait été plus convaincant – et bénéficie de l’émotion que dégage sa belle histoire d’amour entre deux femmes, l’une réelle, l’autre créée par l’IA. Mais son principal intérêt est de nous projeter dans le cinéma de demain (qui en fait est déjà là) où la place de l’acteur, ainsi que du réalisateur et des scénaristes, est totalement remise en question par l’IA (sans même parler de la question des droits d’auteurs puisque dans Hôtel Rêverie, le pillage des œuvres du patrimoine est la base des nouveaux films…).
Terminons par le second épisode, Bête Noire, qui est le plus ludique, avec une fin hilarante, et qui pousse à l’extrême le concept du « multi-verse ». Si l’épisode est léger, il est aussi stimulant : il n’est pas inutile de préciser, si vous échangez avec des amis, que Brooker et Netflix ont imaginé un piège diabolique pour leurs spectateurs. Il existe a priori (au moins) deux versions différentes de l’épisode, au niveau de certains détails, auquel nous avons accès sans pouvoir contrôler celle qui est mise à notre disposition ! Comme si nous étions dans des versions différentes de la réalité !
Mais, au delà de la qualité des idées de chaque épisode, de l’excellence générale de leur réalisation et interprétation, peut-être que le vrai triomphe de cette septième saison, c’est de nous parler – et bien – de nous, gens ordinaires de 2025, et non plus d’anticipation.
Eric Debarnot