Grand Prix de la Semaine de la critique, à Cannes en 2024, Simón de la montaña se présente comme un récit initiatique atypique, rivé au point de vue de son personnage principal. Une œuvre riche et pleine de vie.
Grand Prix de la Semaine de la critique, Simón de la montaña est, comme souvent dans cette sélection, un premier film. Mais c’est aussi l’un des derniers financés par l’Institut national du cinéma argentin, réduit depuis en charpie par la tronçonneuse de Javier Milei. L’enthousiasme face à cette œuvre riche, pleine de vie, coming of age cabossé et complexe se partage avec un triste sentiment de gâchis quant à l’impossibilité de créer qui va désormais s’imposer aux artistes de ce pays.
Simón de la montaña a est un récit initiatique atypique, entièrement rivé au point de vue de son personnage éponyme, adolescent en quête d’identité dans un monde opaque, et qui trouve dans un groupe de jeunes en situation de handicap une nouvelle famille. Une variation contradictoire à Vol au-dessus d’un nid de coucou, en somme, puisqu’il souhaite à tout prix intégrer la communauté, quitte à s’inventer un handicap fictif. Le regard sur le handicap s’en voit modifié : loin de l’angélisme béat sur les leçons traditionnelles de tolérance face à la « différence », le film s’attache à suivre un jeune homme ayant pris conscience de son atypisme, et tentant, au contact des autres, à l’identifier, le définir et le déployer. Le portrait de cet être en construction déjoue donc les attendus du genre (à la Un p’tit truc en plus, par exemple, qui ne déméritait pourtant pas dans son académisme moraliste), et la complexité de Simon (manipulateur ? chef de bande imposé du fait de son absence de handicap ?) lui confère une place ambivalente, où il va autant intégrer un clan que le mener à une forme de sédition et de révolte qui pourrait le mettre en danger. De la même manière, le regard sur cette communauté, joué par des comédiennes et comédiens en situation de handicap, poursuit cette complexité en explorant toutes leurs facettes, où la cruauté trouvent nécessairement leur place.
La confusion restera centrale dans un récit qui laisse entendre que Simon pourrait réellement souffrir d’un handicap qui n’aurait pas été diagnostiqué, et toute la mise en scène joue avec ce flottement. Un entre-deux continu, qui privilégie par exemple les gros plans sur les visages aux vastes prises de vues sur la cordillère des Andes qui pourrait offrir de magnifiques paysages. Le film est une immersion, au diapason d’un être encore mal dégrossi, alternant entre la colère contre un monde dans lequel il ne se reconnaît pas, et un univers atypique qui le fascine et dans lequel il pourrait, entre fantasmes et illusions, se reconnaître. Le très intéressant travail sur le son approfondit cette fuite du réel : une pensionnaire prête à Simon son oreillette, qui lui permet de moduler son rapport à l’extérieur et accroître son retrait dans une dimension parallèle qui n’appartiendrait qu’à lui. Entre fuite et ouverture, réclusion et regard sur l’autre, contestation et partage, Simon trace une ascension cahoteuse (celle de l’ouverture), où la montagne n’est habitable que parce qu’on est plusieurs à en fouler la pente.
Sergent Pepper