[Essai] « Beck, des palmiers dans l’espace » de Pauline Guedj : « Soy un perdedor (Things are gonna change, I can feel it) »

Après sa passionnante analyse du travail de Steven Soderbergh il y a 3 ans, la journaliste et anthropologue Pauline Guedj revient avec un essai tout aussi original sur Beck, qui offre des perspectives nouvelles sur un artiste insaisissable.

Beck

« In the time of chimpanzees, I was a monkey / Butane in my veins, and I’m out to cut the junkie / … / I’m a loser, baby, so why don’t you kill me?« … Quiconque était en âge d’écouter de la musique en 1993 se souvient de la bombe Loser balancée sur le monde qui n’en espérait pas tant, ce mélange improbable – mais surtout irrésistible – de blues, de country music et de hip hop. Beck Hansen (Beck, donc) fut vite catalogué représentant de la nouvelle génération de « slackers » (terme qui allait être à la mode durant les années 90), alors qu’il était avant tout un tout jeune homme passionné par toutes les formes d’art, et un travailleur acharné, bien décidé à créer sa propre vision de la musique contemporaine, sans chercher en aucune manière ni le succès, ni l’approbation de ses pairs.

Playlist Society Beck

Faux slacker mais vrai créateur touche-à-tout et inspiré, Beck allait devenir une figure majeure de la musique US, jusqu’à un relatif effacement dû à des problèmes de santé suite à un accident, puis à un retrait progressif loin des spotlights, conséquence déclarée des « effets de l’âge » le poussant à revoir sa propre approche artistique. A date, il nous a offert plus d’une quinzaine  d’albums, couvrant un spectre musical excessivement varié, du folk roots aux expérimentations science-fictionesques, en passant par d’audacieuses constructions poussant la logique de Loser beaucoup plus loin (voir en particulier sa collaboration avec les Dust Brothers) et des albums classiques de « chansons », rendant au moins occasionnellement hommage à Gainsbourg et son Melody Nelson. Bref, il est impossible d’aimer TOUT ce que Beck a fait depuis 1993, mais il est tout aussi impossible de ne pas adorer au moins l’un de ses disques.

Il n’est pas surprenant que Beck ait intéressé Pauline Guedj, journaliste et anthropologue, déjà autrice d’une analyse éclairée sur un autre caméléon à la démarche insaisissable, allant et venant entre les genres et les formes, entre mainstream et avant-garde, le cinéaste Steven Soderbergh. Elle s’est attaquée à cette nouvelle énigme sympathique qu’est Beck, et a tenté dans son essai Beck, des palmiers dans l’espace, de comprendre d’où venait son inspiration, son énergie, son besoin d’expérimenter, son envie de changer à chaque fois, entre deux albums, de style musical.

La piste que Guedj a suivi, qui se révèle aussi féconde que passionnante, est celle de la quasi symbiose de Beck avec sa ville natale, Los Angeles : de son enfance – plutôt pauvre – à L.A. au sein d’une famille d’artistes qui a stimulé son désir de découverte et surtout de mélange d’influences, à son retour dans la même ville après un passage difficile à New York où il a fait un temps partie du mouvement anti-folk, Guedj a patiemment traqué les racines de son Art, pour nous en livrer ici, sous forme traditionnellement (à peu près) chronologique, une synthèse convaincante. Car le plus réussi dans ce livre, outre le fait qu’il s’agit d’un véritable « page turner » que l’on dévorera en quelques heures, c’est bien qu’on en sort en comprenant mieux – même s’il ne s’agit parfois que d’hypothèses – et le fonctionnement intellectuel et artistique de Beck, et l’importance de son œuvre dans les années 90 et 2000.

S’il fallait trouver des défauts à Beck, des palmiers dans l’espace, et oui, nous cherchons des noises un peu injustes à Pauline Guedj, on pointerait que la toute dernière partie du livre est plus faible : entre les explications / justifications assez embarrassées sur l’adhésion de Beck à l’église de scientologie (évidemment une grosse tache sur un CV par ailleurs impeccable) et un chapitre final nous expliquant tardivement l’intérêt de Beck pour la Science-Fiction, qui semble n’avoir été écrit que pour arriver à la phrase / trouvaille « des palmiers dans l’espace » qui clôt l’essai, disons que l’on n’est pas au niveau d’excellence de ce qui a précédé.

Mais ce n’est pas là une raison pour passer à côté d’un livre aussi indispensable, non seulement aux nombreux fans de Beck, mais à ceux, sans doute encore plus nombreux, qui se passionnent pour Los Angeles, sa dynamique et sa culture. Cela s’appelle un « must ».

Car… « I’m a driver, I’m a winner / Things are gonna change, I can feel it » (Loser).

Eric Debarnot

Back, des palmiers dans l’espace
Essai français de Pauline Guedj
Editeur : Playlist Society
160 pages – 17 Euros
Parution : 24 avril 2025

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