Séoul, São Paulo est un premier roman, écrit par un jeune Bolivien vivant au Brésil, primé à sa sortie. On aime les personnages, on vit avec eux, on ressent leurs doutes et leurs inquiétudes face à une question centrale, l’identité. Un beau roman, qui parle de choses profondes avec beaucoup d’humour, de grâce et de mélancolie.

Gabriel Mamani Magne est jeune : il est né en 1998 et ce roman, son premier, a été publié en Bolivie en 2019 (on vous laisse trouver son âge). Mais, il arrive quelquefois que la valeur n’attende pas le nombre des années : Séoul, São Paulo a gagné le prix national du roman en Bolivie lors de sa parution. Une belle récompense pour un bien beau roman qui se lit d’une traite (c’est vrai qu’il est court, 160 pages) avec beaucoup de plaisir, de joie, et de jubilation. C’est un chouette roman qui se lit d’autant plus volontiers que la relative simplicité de l’histoire cache des thèmes extrêmement profonds.
Séoul, São Paulo raconte en effet la vie et les relations entre le narrateur et son cousin Tayson. Tous deux sont boliviens, tous deux se retrouvent à El Alto (Bolivie où le premier est né et où revient vivre le second qui né à São Paulo), et tous deux sont jeunes. Voilà. C’est une histoire qui se passe entre foot, rapports avec les filles, amour, sexe, paternité, beuh, service militaire, rapports familiaux et travail. On voit ces gamins apprendre la vie, devenir des adultes, grandir. C’est émouvant, drôle, grave aussi, comme quand on lit une histoire dans laquelle des post-adolescents se retrouvent confrontés aux moments clés de la vie. Mais Séoul, São Paulo, est drôle et émouvant parce que c’est un roman bien écrit. Gabriel Mamani Magne : a créé des personnages auxquels on croit ; il les met dans des situations qui peuvent être rocambolesques, mais qui sont parfaitement crédibles, réalistes. On est transportés au milieu de cette famille, on vit avec eux. Un style parfait ; chaque phrase s’arrête où elle doit s’arrêter ; la ponctuation est juste ; les mots sont ceux qu’il fallait choisir (merci à Margot Nguyen Béraud pour la belle traduction). Et un style vif, alerte, toujours en mouvement.
Un style qui s’adapte parfaitement à ce dont parle vraiment le roman, plus que l’apprentissage de la vie, l’amitié et l’amour, Séoul, São Paulo parle de l’identité, les migrations, les déplacements d’un pays l’autre. Tous les personnages du roman vivent entre plusieurs cultures, plusieurs pays, plusieurs lieux : le narrateur finira par quitter la Bolivie ; Tayson est né au Brésil, mais revient vivre en Bolivie, tout en rêvant de Corée et K-Pop. Gabriel Mamami Magne a d’ailleurs écrit le livre alors qu’il venait d’arriver au Brésil et s’interrogeait lui-même sur ces questions d’identité. Dans un interview donné au journal Argentin Clarìn, Gabriel Mamami Magne dit des choses très belles sur la migration, comme « Ce qui est frappant dans la migration, c’est que, même lorsque vous vous « stabilisez », vous êtes toujours en mouvement. Vous n’avez jamais fini d’arriver, car l’arrivée ultime serait d’être considéré comme l’un des autochtones. » Et, à propos du cas bolivien, « dans un même sujet migrant, trois mondes peuvent coexister en même temps : celui du passeport, celui du pays d’accueil et celui de l’identité indigène. » Séoul, São Paulo parle exactement de cela, de cette coexistence, de ces va-et-vient entre toutes ces identités, de cette incertitude permanente, de cette impossibilité de s’installer… Et il en parle bien ! C’est un bien beau roman que ce Séoul, São Paulo.
Alain Marciano