En 2046, coup de chaud sur les pôles, coup de froid sur la France… Une réflexion sur la mémoire et sa perte, quand l’intime se lie au global. Un tome 1 un peu en deçà des attentes, de la part d’un auteur qu’on apprécie habituellement. A suivre.

En 1955, plusieurs pays lancent des recherches en Antarctique menant au Ice Memory Project, destiné à préserver les glaciers. En 2046, la fonte des glaces s’accélère et la France est dirigée par un parti unique, religieux et liberticide. Depuis Nantes, Marie organise la résidence de deux auteurs de BD en Antarctique pour attirer des sponsors. Cependant, la jeune femme traverse un drame personnel : elle perd ses capacités à retenir ses souvenirs.
Benjamin Adam, avec son compère Thomas Cadène, nous avait agréablement surpris avec Soon il y a cinq ans, un récit d’anticipation qui imaginait l’évolution de la Terre dans les cent années à venir. Avec Inlandsis Inlandsis, Adam récidive dans un registre assez voisin, mais cette fois seul aux commandes. Le futur décrit est plus proche de nous mais guère réjouissant, puisqu’évidemment la fonte de la banquise est loin d’être enrayée, avec son lot croissant de catastrophes dans une France où l’extrême-droite religieuse a pris le pouvoir. Le personnage principal, Marie, vit à Nantes avec son fils et un nouveau compagnon, Romuald. Alors qu’elle doit gérer la mission de deux auteurs de BD en Antarctique, une visite médicale lui confirme ses craintes : elle est en train de perdre la mémoire, mettant en péril l’équilibre du foyer.
Difficile de parler de façon synthétique de cette bande dessinée, dont il s’agit ici du premier tome, tant les thématiques abordées sont nombreuses et variées. Benjamin Adam semble avoir tenté ici de relier le global à l’intime, en évoquant la question prégnante du moment, le réchauffement climatique, aux inquiétudes personnelles d’une jeune femme, Marie, inquiétudes liées au diagnostic médical qui menace de bouleverser sa vie. A cela, il intègre un contexte politique et social que beaucoup peuvent redouter actuellement, en imaginant un gouvernement français dirigé par l’extrême-droite avec l’appui d’un milliardaire réactionnaire dont le nom n’aura même pas besoin d’être cité ici…
La narration effectue un va-et-vient entre l’inlandsis (très grande étendue de glace recouvrant un continent) de l’Antarctique, où l’on suit le quotidien des deux auteurs confrontés à un problème de restriction de leurs vivres suite à une erreur de commande, et la France, où Marie tente d’encaisser le choc. On apprécie l’extrapolation réaliste et pertinente d’Adam, si anxiogène soit-elle, de notre futur proche à nous autres Français, de même que tous thèmes qui se succèdent tout au long du livre. Là où le bât blesse, c’est que cette profusion donne une impression de dispersion, et le lecteur finit par s’y perdre. On pourra toujours considérer que c’est une lecture exigeante, et elle l’est par son contenu, mais la forme semble quelque peu en retrait par rapport au fond.

Ce qui avait pu séduire dans Soon, cette grammaire narrative innovante qui était véritablement sa marque de fabrique et qui fonctionnait, peine ici à convaincre. Même si l’on sent chez l’auteur une volonté de jouer la carte de l’authenticité, la tournure formelle avant-gardiste semble en opposition avec un tel objectif. Alors qu’on devrait être touché par ce qui arrive à la protagoniste principale, condamnée à perdre la mémoire, on ressent curieusement peu d’émotion. Si les textes et dialogues se veulent hyper réalistes, ils sont abondants, un peu trop peut-être, qui plus est truffés d’échanges SMS, et on éprouve parfois des difficultés à identifier les interlocuteurs, à savoir qui dit quoi, malgré les codes couleur associés aux phylactères. Cela est dû en partie au style graphique un rien minimaliste, un style moderne qu’on apprécie certes, mais apparaît comme éclipsé par la partition textuelle. Le résultat, c’est une narration morcelée et confuse, qui gêne la fluidité de lecture et amenuise l’attention portée à l’histoire, qui en outre manque de ressorts véritablement marquants.
Du reste, on a du mal à comprendre pourquoi l’éditeur a opté pour ce petit format, qui n’arrange rien à l’affaire. Un format plus classique aurait pu au moins permettre d’accroître l’intérêt pour le dessin et la mise en page, mais la nécessité d’avoir une très bonne vue risque de dissuader une partie des bédéphiles de se plonger dans cet ouvrage.
Malgré un pitch qui suscitait l’envie, Inlandsis Inlandsis s’avère une petite déception, d’autant plus regrettable quand il s’agit d’un auteur en qui l’on pouvait placer beaucoup d’espoir, notamment par son propos stimulant la réflexion. La suite parviendra-t-elle à compenser cette déception ? On aimerait évidemment bien le croire…
Laurent Proudhon
Inlandsis Inlandsis, tome 1 : la glace
Scénario & dessin : Benjamin Adam
Éditeur : Dargaud
Collection Charivari
296 pages – 26,95 €
Parution : 17 janvier 2025
Inlandsis Inlandsis, tome 1 : la glace — Extrait :
