Leon Leger est mort dans des conditions mystérieuses, semble t-il assassiné. Cent personnes sont regroupées au cimetière pour son enterrement. Christophe Wojcik croque la mort avec son humour noir habituel dans un roman, tout sauf triste.

Tous au cimetière ! Dans les villages, rares sont les moments de convivialité. À part le troquet, le marché, le loto annuel de l’école, les repas de chasse ou les élections, il n’y a que les obsèques pour réunir toute la population. Il faut croquer la mort par les deux bouts.
Cela tombe bien, à part pour l’intéressé, Leon Leger est mort et cent personnes sont regroupées au cimetière. Les mines sont défaites, les tenues endimanchées (oui, laissez les ensembles Desigual tendance perroquet dans le dressing). Rien de bien original, si ce n’est les circonstances mystérieuses du trépas, pas très clair.
Comme le moment est au recueillement, chacun s’occupe l’esprit à sa manière pour éviter de trop penser à sa prochaine finitude ou à deviner qui sera le prochain sur la liste de la fossoyeuse. Même les bestioles nécrophages patientent, s’aiguisant l’appétit. Les plus vieux se pressent au premier rang, peut-être pour une répétition. Les plus angoissés de la vie se tiennent éloignés, craignant la contagion. Les enfants sont tenus en laisse, les commères morbides sortent les jumelles pour épier les larmes, les indifférents font un petit détour par les tombes de la famille pour une visite surprise hors floraison des chrysanthèmes. Les enterrements sont tellement codifiés, que les cimetières sont devenus des lieux communs.
Par contre, tout ce petit monde pense détenir sa part de vérité sur le pourquoi du comment du décès de ce père de famille, marié, deux enfants, retrouvé écrabouillé dans un coin à champignon qui n’est plus secret. Cèpes à bien.
Chacun y va de son témoignage rétrospectif et peu à peu, l’image du bon père de famille s’écaille. Les absents ont toujours tort. S’il n’était cané, le mort aurait les oreilles qui sifflent. Et que penser de ses récentes allusions à des petits hommes verts ?
La police assiste à l’enterrement, scrute les silences, surveille les mines plus ou moins déconfites. Pas un mot ne vient troubler la cérémonie. À peine quelques chuchotements. Pourquoi un tel silence ? Peur de réveiller le défunt ?
Ce n’est pas la première fois que Christophe Wojcik croque la mort avec son humour noir. Je conseille notamment Service après mort que j’avais joyeusement billeté l’année dernière.
Ici encore, ce thanatopracteur de bons mots se moque avec finesse de la mort et des apparences contemporaines.
La construction de ce roman, dans lequel la narration est portée comme un relais par tous les protagonistes, permet de révéler l’intrigue de façon originale. Malgré le sujet, le récit n’a rien de morbide. Il est au contraire très vivant même si le ton grince comme les grilles rouillées d’un vieux caveau.
Une lecture bien plus gaie que les pages nécrologiques de votre journal, activité ludique de petit-déjeuner qui consiste à détecter un nom familier promis au compost et de s’assurer de sa propre existence.
Pas un enterrement de première classe.
Olivier de Bouty