Gros succès actuel sur la plateforme Netflix, L’Eternaute est l’adaptation ambitieuse d’une œuvre politique majeure de la BD argentine, qui a de plus l’avantage de ridiculiser une bonne partie de la SF US grâce à son ancrage dans la réalité et à ses qualités cinématographiques. A ne pas manquer !

Peu de gens en France, même passionnés de Bande Dessinée, connaissent le classique argentin El Eternauta, publié entre 1957 et 1959, et dont l’auteur (le scénariste), Héctor Germán Oesterheld, fut l’une des innombrables victimes de la dictature militaire dans les années 70. Cette œuvre majeure du 9ème Art – un roman graphique comme on l’appellerait aujourd’hui – raconte l’histoire, a priori classique, d’une invasion planétaire extra-terrestre, mais surtout de la résistance « populaire » d’un groupe d’amis à Buenos Aires. A l’inverse des fictions similaires états-uniennes, il s’agit de mettre en lumière l’héroïsme collectif, par opposition à l’héroïsme individuel, mais également de prévenir – un peu comme dans l’Invasion des Profanateurs de Sépultures, le film de Don Siegel – le danger que représente pour la société, et la démocratie, la « contamination » de l’homme ordinaire par des idées totalitaires, le transformant en esclave servile d’une puissance dominante.
On remarquera donc que le succès planétaire que rencontre aujourd’hui l’excellente adaptation en série TV de l’Eternaute tombe à pic pour faire écho à la montée de l’extrême droite en Europe comme aux USA, transformant potentiellement des amis et connaissances, devenus méconnaissables à force d’inhumanité, en instruments de conquête du totalitarisme. Et le créateur de la série argentine, Bruno Stagnaro, son équipe et ses acteurs, ne se privent pas d’insister, dans les vidéos accompagnant la sortie de l’Eternaute, sur l’importance de l’héroïsme – ou simplement de l’engagement – populaire, à un moment où la peur nous encouragerait plutôt à nous calfeutrer chez nous en attendant « que ça passe »…
Mais, au delà de son fort message politique, aussi nécessaire en 2025 qu’en 1957 ou en 1970, L’Eternaute est une remarquable série « post apo » et de science-fiction, régulièrement bien supérieure à tout ce que l’on a pu voir dans le genre en provenance des Etats-Unis. L’ancrage ultraréaliste de cette histoire de fin de l’humanité dans le décor de la ville de Buenos Aires – soumise en ce moment à une pression sociale terrible -, mais également de manière plus large dans la belle culture populaire argentine, confère à des scènes en théorie déjà vues et revues de nombreuses fois un impact émotionnel inédit. Les deux premiers épisodes, racontant le déclenchement de « l’attaque », qui prend des apparences très inattendues, sont stupéfiants de tension, au point d’en être quasiment traumatisants : notre identification avec cette petite bande d’amis, jouant au cartes (au « truco ») dans un sous-sol lorsque survient « la fin du monde », est totale, et il est littéralement impossible de ne pas s’imaginer « à leur place » alors qu’ils tentent de retrouver les membres de leurs familles, ou simplement de survivre alors que tout s’effondre.
Certains téléspectateurs se sont plaints du rythme de la série, qui prend en effet son temps pour nous montrer les réactions « humaines » de chacun des protagonistes, et ne joue pas la carte du thriller haletant « standard ». S’il est vrai qu’il y a un petit passage à vide au milieu de la saison, avec quelques moments plus prévisibles, les cinéphiles reconnaîtront dans l’Eternaute nombre de qualités du meilleur cinéma argentin, qu’il soit commercial (quelqu’un se souvient du génial les Neuf Reines ?) ou d’auteur : profondeur de la réflexion sociétale, élégance de l’analyse psychologique, mais également stylisation bienvenue du récit…
… Et puis, bien entendu, et ce n’est pas la raison la moins importante de se perdre dans le labyrinthe spatio-temporel de l’Eternaute et dans les rues dévastées de Buenos Aires étouffée sous la neige, il y a l’immense Ricardo Darín : parfait comme toujours, il est, une fois encore, le visage du meilleur cinéma argentin, mais aussi le symbole de ce qui reste encore d’humanité en nous, alors que la barbarie nous submerge.
Après une conclusion terrifiante du sixième épisode, espérons que la seconde et dernière saison de l’Eternaute ne tardera pas trop, et sera, surtout, aussi réussie.
Eric Debarnot