Laura Veirs était de passage en France, en vue d’un concert spécial à Angoulême avec une chorale le 24 mai, et en a délivré ses douceurs pop-folk au public parisien lors de deux dates intimistes.

Si le rêve d’Angoulême d’accéder au Top14 rugby s’est effondré ce jeudi 22 mai sur le terrain d’Aix-en-Provence, celui de Laura Veirs d’une expérience magique dans la cité de la BD était bien vivace ce même soir au Supersonic Records, le petit club de la rue Biscornet. La musicienne de Portland était en effet de passage en France pour quelques jours, avec comme objectif ultime un concert avec une chorale de collégiens et lycéens, 20 ans après une expérience similaire, à l’instigation d’un professeur resté fan de sa musique. Sans doute certains enfants de l’époque, devenus adultes, seraient-ils ce soir de 2025 dans la salle. L’expérience promettait, le samedi 24 mai, d’être étrange, magique et vertigineuse, « mallickienne » en diable, quelque part (du Terrence Mallick des dernières années, qui explore le passage du temps en forme de spirale sans qu’on y comprenne vraiment tout…).
En attendant, Laura Veirs se réjouissait de cette expérience à venir, et en a profité pour poser ses bagages pour deux soirs en solo au Supersonic Records, avec son nouveau compagnon et futur mari Morgan, tenant le stand de merchandising : « Nous sommes à la tête d’une famille [recomposée] de 4 adolescents, pfff, jusqu’ici tout va bien, mais c’est très chargé (So far so good, but these are very busy times)… » glisse-t-elle, tout de suite dans le vif de son intimité. Intimité sera le maître mot ce soir, le concept même : salle de poche, musicienne ultra proche de la centaine de spectateurs, et détails sur sa vie privée distillés au fil des chansons, car, il n’y a pas le choix, on n’est pas au Stade de France, il faut donner et partager de soi avec ce public « fan ».
Et qu’attend-il, ce public, si ce n’est ce que va offrir Laura Veirs, seule avec sa guitare et sa robe pailletée ? De belles chansons – elle est une grande mélodiste, capable de faire émerger la lumière de quelques accords -, des anecdotes, de l’humour, de la simplicité, bref de la proximité. Elle n’en sera pas avare ce soir, et notamment en anecdotes, glissant avoir passé une belle journée à Paris, au Jardin du Luxembourg, puis être allée « faire une sieste », ou encore, aussi étrange que cela paraisse, indiquer progresser en français à raison de 5 mn par jour sur DuoLingo, beaucoup plus que quand elle a vécu, momentanément, en France, il y a deux ans. L’essentiel des interactions sera néanmoins ce soir en anglais ; quelques mois supplémentaires de DuoLingo seront sans doute nécessaires !
Ce soir est le second, et Laura Veirs repère tout de suite « quelques têtes déjà vues hier soir », avant d’entamer sa plongée dans son répertoire : « deux soirs, cinquante chansons, sans répétition, c’est un exercice intéressant d’appel à sa mémoire ». Un exercice qu’elle va réussir avec les félicitations du jury, en réinterprétant sans trous de mémoire ses anciens textes, mais aussi en faisant des variations légères par rapport à la set list, qu’elle avait déjà partagé en avance sur Facebook.
Le début est délicat, avec Shape Shifter, Sun Is King, Pink Light et Spelunking, empruntés à des albums et des époques différents, comme pour poser le décor de cette soirée en forme de spéléologie dans son répertoire désormais très nourri. La chanteuse introduit alors le premier extrait de son album Carbon Glacier (2004, un repère pour beaucoup), Chimney Sweeping Man, en hommage à son oncle, aujourd’hui décédé, qui a été ramoneur, un « métier old school, qu’il a fait toute sa vie ». Un ange des toitures passe. Puis, une première reprise, Between The Bars, d’Elliot Smith, de Portland comme elle, qu’elle connaissait bien, et dont elle avoue que ses chansons l’accompagnent. Laura termine la première partie de son set sur une rafale de chansons saisissantes : Lonely Angel Dust, de Carbon Glacier, où elle monte dans les aigus, Life is Good Blues, et Make Something Good. Pour cette dernière, elle s’interroge en reprenant ses accords : « Je me rends compte que certaines chansons sont les mêmes, en fait : Make Something Good, Galaxies, Chimney Sweeping Man, ce sont les mêmes ! » Et de gratouiller chacune de ces mélodies avant que de se lancer pour de bon dans l’interprétation de Make Something Good, faisant passer un frisson, qui devait théoriquement conclure la première partie du spectacle. Laura jouera une chanson supplémentaire, non prévue à la setlist, The Archers, extrait de Phone Orphans (2023), d’après un poème de Federico Garcia Lorca, incarnant bien sa volonté d’injecter de la surprise et de la poésie, de la vie tout simplement, dans sa setlist et dans l’exercice de style du soir.
Après vingt minutes de pause, la deuxième partie du set restera dans cet esprit, avec au menu un renouvellement des plaisirs pour maintenir l’intérêt des spectateurs, avec notamment trois autres reprises, de Neil Young (Unknown Stranger – « j’aime bien cette chanson », dit-elle juste), et un doublé de Daniel Johnson, rajouté au programme, Some things Last a Long Time et True Love Will Find You In The End – bouleversant et à la hauteur, immense, de l’original. En revenant à son répertoire, la musicienne de l’Oregon enchaîne sur le non moins frissonnant Best Kept Secret (co-écrite avec Neko Case et k.d. lang sur leur album commun) et, femmes toujours, Carol Kaye, en hommage à « une grande bassiste des années 50-60, qui a joué sur de nombreux disques et qui était une de mes héroïnes ». Puis, moment réellement interactif et rare (on l’a vu juste récemment avec Vampire Weekend à l’Accor Arena, dans un tout autre cadre, et pour des reprises), une section de chansons à la demande, où les propositions fusèrent, de ce public fan, obligeant la musicienne à faire des choix pas évidents. Elle choisira finalement de jouer Jailhouse Fire, à propos d’un ami « voix protestataire, c’est ce type de voix dont on a besoin en ce moment, n’est-ce pas ? », seule référence politique, discrète, et faisant siffler le public en chœur, puis Rapture et l’incontournable Judy Flame, de l’album éponyme de 2010, qui était prévue originellement pour conclure la soirée. Ce sera sur la très belle Shadow que la musicienne clôturera son set, avant de s’éclipser brièvement en coulisses par la porte limitrophe de la scène – pas évident de mettre en scène un rappel du public dans un si petit club. A l’heure du rappel, Laura Veirs choisit encore le clin d’œil, en inversant l’ordre prévu sur la setlist, jouant d’abord Song for Judee, « une écrivaine à la vie triste » puis finalement My Lantern, à propos des « gens qui la remplissent d’espoir », clôturant sur une note positive, vers la lumière, ce concert rayonnant.
La post-ado de Portland a décidément bien grandi, en musicienne mûre et aguerrie, sûre de ses forces et de son répertoire, mais conservant cette fragilité un peu suave, parfois espiègle, qui fait qu’on la retrouve toujours avec bonheur, depuis près de 25 ans. Laissons-lui le mot de la fin, en réalité prononcé au début de concert, où Laura Veirs indiquait aimer les deux types de shows, en groupe comme en solo, ce dernier format donnant l’occasion de se « lâcher plus ». Ce fut assurément le cas ce soir, mais on espère aussi la revoir bientôt en formation, donnant de l’ampleur à ses chansons si élégamment troussées, qui évoquent désormais l’amour, la maturité, et tout un tas de choses qui nous échappent sûrement.
So long, Laura.
Texte : Jérôme Barbarossa
Photos : Robert Gil