Antidote à la dépression qui guette, la musique de Bananagun a illuminé jeudi soir un Supersonic rempli de gens souriants qui avaient envie de danser.
Connaissez-vous Bananagun, le groupe de Melbourne ? Non, eh bien c’est dommage, car vous vous privez d’une dose de soleil qui serait, on en est sûr, bienvenue dans votre vie ! Avec The True Story of Bananagun, leur premier album sorti en 2020, ces Australiens souriants se sont imposés comme dealers de joie de vie, mais aussi d’aventures musicales surprenantes, avec un mélange de genres des plus improbables : il y a de l’Amérique Latine dans leur musique, mais aussi du psychédélisme et de la pop (au pays de Tame Impala, c’est un peu moins étonnant), et on a envie de danser et de chanter avec eux. Leur second album, Why is the Colour of the Sky, les a vu aller franchement vers l’expérimentation, et surtout vers le jazz, au risque de décevoir certains fans. Et comme ils étaient, jeudi soir, de passage (exceptionnel) au Supersonic, il était indispensable d’aller les voir pour comprendre où ils en étaient dans leur évolution…
20h : devant un Supersonic presque vide – les gens profitant le plus longtemps possible de l’atmosphère printanière aux terrasses des cafés -, c’est à The Family Reunion que revient le (douteux) privilège d’ouvrir la soirée. Ce qu’ils font, dans un registre pop psyché 60’s pas désagréable (Sun, Space Song… des titres qui correspondent bien au genre), avec des mélodies qui tiennent la route, et des vocaux assurés par chaque membre du quatuor à son tour… des vocaux qui tiennent déjà beaucoup moins bien la route (le problème éternel du Rock français – et de la chanson française aussi, d’ailleurs…). Le meilleur titre du set sera Love Is, où tout semble d’un coup tomber en place (la mise en place étant l’un des gros problèmes de The Family Reunion, qui, de fait, ne sonnent guère professionnels) … La seconde partie du set sera moins convaincante : à force d’enchaîner des chansons lentes et des mid tempo, l’énergie commence à faire défaut, et les maladresses vocales noient les bonnes idées mélodiques… Comme en plus, le groupe frôle parfois l’insignifiance « variétoche », arrive un moment où l’on a envie que ça s’arrête. The Family Reunion, ce sont peut-être des amis et des membres de la même famille qui jouent ensemble, mais ils ne forment pas encore un vrai… groupe. Allez, au boulot, les mecs, pour muscler tout ça !
21h : Heureusement, les 40 minutes qui suivront vont être d’un tout autre niveau : les Strasbourgeois de Almost Rose jouent un disco / funk aux tendances planantes, atmosphériques, qui met la banane et fait se trémousser gentiment, et tout naturellement. De longs morceaux assez éthérés qui se déploient pourtant en incitation à la danse. Rien d’original, mais une sorte d’évidence bienveillante et bienheureuse que le Supersonic accueille avec plaisir. Claviers liquides, parties de guitare funky, posés sur une rythmique élégante – on remarque particulièrement le jeu convaincant du batteur : en route pour le plaisir ! Et puis les musiciens ont le sourire, en dépit d’une corde cassée sur la guitare solo qui pénalise l’avant-dernier titre (jusqu’à ce qu’on apporte au guitariste un instrument de remplacement…). On pourra regretter que tout cela reste un tantinet trop poli, on aimerait un peu plus de sueur et de sensualité… mais ce n’est peut-être pas le genre de la maison ! Titre le plus immédiatement séduisant : Cynamon, qui réunit toutes les qualités d’un groupe, définitivement à suivre…
22h : Bon, comme on l’a dit, le problème – mais en est-ce réellement un ? – des Australiens de Bananagun, c’est d’avoir changé assez nettement de style entre leurs deux albums, tous deux accueillis par d’excellentes critiques, mais venant de gens différents. Le Bananagun de 2025 peut-il séduire encore son public des débuts ? Nous, il nous semble que oui, avec une setlist composée à part presque égale de leurs deux styles de musique, ils s’approchent quand même de la résolution de la quadrature du cercle. Des amis à nous, fans de la première heure, s’attristeront néanmoins du départ du seul élément féminin du groupe, Charlotte, aux percussions…
Bon, il faut quand même au groupe même deux titres (Those Who Came Before et Gift of the Open Hand, au démarrage un peu poussif) pour monter en puissance, ainsi qu’à Nick Van Bakel, le leader, pour trouver ses marques au chant. On ne leur en voudra pas pour autant, car, quand ils y sont, au sommet, ils y restent ! Sur les 50 minutes de leur set, il y aura en plus d’une trentaine où ils nous entraîneront sans problème à leur suite dans un maelstrom de rythmes et de sensations enivrantes. Fermons les yeux pour mieux apprécier ce voyage inspiré qui conjugue des expériences jazz et latino-américaines (Do Yeah, toujours aussi efficace !) du siècle dernier et des dérapages pop vocaux, parfois déstabilisants : Bananagun, c’est donc à la fois exaltant pour le cœur, bon pour les jambes, qui ne résistent pas à l’appel de la danse, et stimulant pour l’esprit, que des surprises régulières réveillent. Après l’enchaînement de trois titres pop baroque, le set se termine sur un Children of the Man, littéralement incandescent. Avant un rappel – sans quitter la scène – conçu pour rasséréner ceux à qui le premier album manque quand même. C’est très bien joué !
Après le set, nous les retrouvons dans la rue, devant leur van de tournée, pour les féliciter : ils nous promettent de revenir à Paris dans quelques mois, espérons qu’ils tiendront parole !
Texte et photos : Eric Debarnot