Trente ans après sa sortie au Japon, on peut enfin voir sur dans les salles françaises The Friends (désormais intitulé Jardin d’été), ce film de Shinji Sōmai à l’excellente réputation parmi le très petit cercle des admirateurs de ce réalisateur méconnu. Verdict…
Connaissez-vous Shinji Sōmai ? Non ? Rassurez-nous, vous n’êtes pas les seuls ! Passé sous les radars des cinéphiles français durant les années 80-90, et décédé en 2001, il s’agit pourtant potentiellement d’un réalisateur important, qu’il s’agirait de réévaluer, alors que Kore-eda le présente comme son inspirateur (une citation en faisant foi sur l’affiche…). The Friends – renommé Jardin d’été pour sa sortie dans les salles françaises, ce qui est pour une fois la traduction exacte du titre original -, une trentaine d’année après sa réalisation, n’est pas présenté par les connaisseurs comme le meilleur Sōmai (on nous recommande plutôt un Moving / Déménagement et un Typhoon Club). Les critiques sont dithyrambiques (il faut dire qu’au milieu du désert cinématographique de ces dernières semaines, ça fait du bien de s’enthousiasmer un peu…), et c’est en tout cas une occasion à ne pas manquer de découvrir un auteur méconnu.
Jardin d’été nous raconte donc un été à Kobe, tel que vécu par trois copains qui décident d’espionner un vieil homme vivant dans une maison délabrée entourée d’un jardin en friche, en plein cœur d’une banlieue ordinaire. D’abord attirés par des instincts morbides (voir un cadavre, tant le propriétaire de la maison semble à l’article de la mort…), les trois amis vont se prendre au jeu d’aider leur « victime » à nettoyer son jardin et retaper sa maison… avant d’entrer plus profondément dans son intimité et sa mémoire…
Jardin d’été, superbement restauré et bénéficiant de couleurs vives et lumineuses transposant idéalement à l’écran les sensations d’un été torride, ne commence pas très bien. On a le droit d’être irrité par les voix criardes des protagonistes, dubitatif devant une mise en scène peu subtile, voire de s’ennuyer un peu durant une première demi-heure d’exposition assez convenue sur les jeux enfantins et les fantasmes de ces trois copains, dont deux souffrent de traumatismes visibles (l’un est obèse et donc moqué par ses camarades de classe, l’autre n’a jamais connu son père et s’en invente différents modèles tous plus héroïques les uns que les autres). Une scène mal construite et mal filmée dans les sous-sols d’un hôpital où l’on stocke les cadavres finit même par nous mettre de mauvaise humeur. Pire, les trois « sales gosses » ressemblent à des transpositions peu subtiles à l’écran de personnages du 20th Century Boys d’Urasawa, et on se remémore avec une nostalgie cruelle ces contes de l’enfance qu’Ozu nous avait offert avec Gosses de Tokyo, puis avec Bonjour…
Bref, rien ne va, jusqu’à ce que, peu à peu, le propos du film ne s’affirme, et que Jardin d’été trouve son juste rythme, et, surtout, gagne en profondeur. Et c’est le travail ardu auquel se livrent nos drôles de héros qui élève le film, peu à peu, au même rythme qu’eux-mêmes « se transforment » : car Jardin d’été est bel et bien l’un de ces films « d’apprentissage », et peut-être bien finalement l’un des plus beaux du genre qu’on ait vu depuis longtemps ! Sōmai ne renonce jamais complètement à cette trivialité un peu rebutante du début du film, qui devient un contrepoids précieux à la finesse et à la beauté de scènes de jardinage, de construction, et finalement de révélation de l’amitié qui va lier les trois enfants au vieil homme. Et qui va tous les transformer.
La dernière demi-heure du film est littéralement sublime, entre une scène au crématorium qui nous broie le cœur de douceur (et là, on a le droit de penser à Ozu, en bien, cette fois !), et une géniale idée finale autour d’un puits, où Sōmai ne recule pas devant la métaphore la plus franche, la plus simple. On comprend alors la réputation de Sōmai, cinéaste qui ne fait peut-être pas du « grand Art », mais réussit à filmer quelque chose de la beauté de la vie avec une vigueur rare.
Bref, il ne nous reste plus maintenant qu’à nous précipiter sur le reste de sa filmographie.