Pas forcément les « meilleurs » disques des années 70, mais ceux qui nous ont accompagnés, que nous avons aimés : aujourd’hui, une perle méconnue made in New Zealand, qui prouve que la contribution kiwi au glam rock n’avait rien à envier à celle de leurs homologues anglo-américains.
En 1974, Alastair Riddell veut frapper fort. Il a joué du blues rock à la fin des sixties dans le sillage de John Mayall et Hendrix, avant un virage psyché au début des seventies pendant sa scolarité à l’université d’Auckland. À la fois guitariste, chanteur et compositeur, il a en poche plusieurs morceaux ébauchés au sein de ses précédents projets. S’associant au guitariste Greg Clark, au batteur Brent Eccles, au bassiste Peter Cuddihy et au claviériste Eddie Rayner (ex-Split Enz et futur Crowded House), il créé Stewart and the Belmonts. Renommée Space Waltz pour davantage de sex-appeal, la joyeuse troupe part à l’assaut du télé-crochet New Faces, afin de décrocher un prix de 750 dollars pour financer un album. Il ne gagnent pas la compétition mais leur image théâtrale, fortement influencée par David Bowie et Marc Bolan, fait forte impression sur les foules et attire l’attention d’EMI, qui signe le quintette. Après quelques singles parus en 1974, Space Waltz by Alastair Riddell sort en officiellement 1975, sous un titre qui génère la confusion. S’agit-il d’un groupe, d’un projet solo, d’un personnage-concept à la Ziggy Stardust ? La réponse pioche dans chacune de ces suggestions.
L’album se veut un concept de science-fiction centrée autour d’une histoire d’amour sur une planète androgyne. Les textes sont cryptiques et la musique est d’une richesse ébouriffante. L’introduction effectuée par Fraulein Love est à la croisée des chemins de 1974, entre théâtralité post-Ziggy et proto-punk furieux, le tout mené par une section rythmique en grande forme. Les breaks de batterie en rafales, très Roxy Music, propulsent des riffs saignants, derrière lesquels s’ébat un étrange écosystème de synthés et piano. Vingt-cinq ans ont passé depuis les comparaisons journalistiques avec Bowie, et la voix de Riddell apparaît finalement plus proche de celle de Richard Strange de Doctors of Madness, avec ce phrasé tour à tour taciturne et plaintif, qui se prête aux ambitions spatiales des thèmes de l’album. Beautiful Boy est justement une belle démonstration de ferveur dramatique, que ce soit en termes de chant ou d’arrangements, avec des guitares en harmonies sur des chœurs assurés par les Yandall Sisters, trio samoan révélé en 1974 par le single Sweet Inspiration.
En deux chansons, on serait déjà en droit d’être impressionné par l’ambition du projet, mais ça n’est qu’un début. Littéralement. En troisième position, Seabird avoisine les neuf minutes sans donner l’impression de gaspiller une seule seconde. L’intro à elle seule dure deux minutes, avec un piano en tension sur une caisse claire exsangue, ensuite rejoint par un mellotron, une ligne de basse agile et un solo de guitare éminemment accrocheur. Les changements d’accords du couplet auraient pu suffire à monter une fresque-fleuve à la Mother of Pearl, mais la troisième minute révèle un refrain à haut potentiel cinématique, inaugurant une série de climax qui se prolonge jusqu’aux ultimes secondes de la composition, où chœurs et mellotron se mêlent en un final quasiment mystique. Si Space Waltz maîtrise le registre épique, il n’en oublie pas pour autant que la pop est souvent affaire de concision. À ce titre, Out On The Street est un single fantastique, contenu sous la barre des trois minutes trente. Lancée en un cri du cœur quasi-lynottien, la mélodie traverse deux tempos, l’un faussement alangui sur des guitares carillonnantes, l’autre glam en diable, en ternaire sur une batterie qui groove comme en battant le pavé du titre. Angel est une autre réussite, où le rock cueille l’oreille par surprise au milieu d’une jungle de science-fiction synthétique. La dynamique de la composition est si habile qu’elle en frise l’insolence, alternant arrêts soudains et refrains où l’émotion se débride brusquement.
S’il fallait vraiment en chercher une, on pourrait sans doute désigner Open Up comme la composition la plus bowiesque de la fournée. Le mélange entre accords acoustiques et Gibson bendée, surplombé par un chant de cabaret, androgyne et étranglé, braconne effectivement sur le territoire de Ziggy et Aladdin. À l’inverse, Scars of Love est très rugueux et ramassé, minuté à la cowbell et serti de guitares de caniveau, non loin du Alice Cooper Band période Is It My Body. Le panache crasseux qui se dégage de tout cela fait imaginer un possible pendant néo-zélandais au Rocky Horror Picture Show, avec un texte qui laisse entrevoir un tableau de débauche intersexe à ranger entre Lou Reed et Robert Crumb. And Up To Now voit le groupe jammer et laisser libre cours à ses instincts les plus progs. La section rythmique volubile tient tête à une sarabande de claviers, dont l’aplomb carnavalesque contraste étrangement avec l’épiphanie romantique des paroles.
Love The Way He Smiles offre une dernière chevauchée de huit minutes, avec un piano qu’on jurerait pensé pour le grand écran et une jam jazzy qui infecte la chanson jusqu’à la dynamiter pour un bouquet final qui semble vouloir pulvériser tout ce qui a précédé. Les dernières mesures témoignent d’un appétit musical qui cadre mal avec l’avenir immédiat du groupe, qui sera mis à l’arrêt dès 1975.
Riddell partira faire carrière en solo dans une veine new-wave en phase avec l’époque, et Space Waltz ne renaîtra qu’en 2023, pour la sortie de Victory, qui mêle des nouveaux titres tout à fait honorables à des versions réenregistrées de plusieurs chansons de la valse originelle. Un dépoussiérage tour à tour compétent (spécifiquement sur Angel, Out On The Street et Scars Of Love) et plus maladroit (And Up To Now sonne un peu émoussé), qui justifie largement de s’intéresser à l’original, véritable gemme mésestimée d’une décennie dont l’audace créative dépasse largement ses monolithes les plus révérés.
Mattias Frances