Horsegirl, le trio d’étudiantes de Chicago, de passage à Paris pour présenter son deuxième album réussi, Phonetics On and On, était très attendu. Comment allait-il transposer sur scène son équilibre subtil de rock minimaliste et mélodieux, noisy sur les bords ?

Horsegirl était en ville en ce jeudi soir écrasé de chaleur, prêt à faire chavirer de bonheur notre péniche préférée qu’est Petit Bain. En effet, le deuxième album du groupe, Phonetics On and On, sorti en février chez Matador et produit avec acuité par Cate Le Bon, a connu un vif succès critique (y compris chez Benzine). Après un premier album (Versions of Modern Performance, sorti en 2022), plus noisy et nourri en distorsions, le groupe y affûte sa signature sonore, avec un rock minimaliste et subtil, plus mélodique, n’excluant pas quelques embardées rock bien senties, en héritières indirectes de leurs collègues de label Yo La Tengo et Pavement — bien plus que de Sonic Youth ou des Breeders, qu’elles mentionnent souvent comme sources d’inspiration — mais aussi, plus près de chez nous, de Young Marble Giants. Bref, Horsegirl est un groupe qu’on a envie d’aimer quand on aime « le rock indé », et qu’on a encore envie de croire que cette étiquette veut encore dire quelque chose.
Quand les demoiselles de Chicago, à peine âgées dans l’âge adulte à 21 ans, entrent en scène, à 21h20, c’est surtout la chaleur et la torpeur qui constituent le feeling dominant dans l’audience composée de quinquagénaires pour l’essentiel. La différence d’âge, aussi, frappe : à fréquenter les concerts parisiens, on peut avoir l’impression que le rock est encore une fois en voie d’obsolescence, comme son public, à quelques exceptions près (le shoegaze, par exemple, suite à son revival). Mais là, ce qui est nouveau, c’est l’écart générationnel véritablement abyssal entre les musiciennes et le public. Une génération et demi d’écart… Cela laisse songeur. Est-ce nous sommes trop vieux, ou est-ce le groupe qui est trop jeune, ou un peu des deux ? En tout cas, Horsegirl ne se laisse pas démonter et va faire le job, son job : un set de 50 minutes, treize chansons déroulées sans fioritures, sans rappel, sans surprise, mais non sans subtilité.
Disposées simplement sur scène avec une scénographie… minimale, Nora Cheng (guitare, voix) et Penelope Lowenstein (guitare, basse, voix), glissant l’une ou l’autre parfois au synthé, devant la batteuse, Gigi Rice, les étudiantes chicagoannes -(chicagoises, en fait !) attaquent leur set doucement, avec deux des morceaux les plus efficaces de son dernier album, Where’d You Go ? et la scie Switch Over. Mais c’est curieusement avec Option 8, extrait de leur premier album, que le concert va commencer à décoller un peu, avec de la distorsion bien sentie pour donner plus de densité au son. Sentiment curieux puisque le set est architecturé autour du dernier album, dont la quasi-intégralité est jouée dans le cadre de cette tournée (un seul des 11 morceaux, le folkeux Frontrunner, est ignoré). D’ailleurs, Well I Know You’re Shy et Information Content suivent, midtempos agréables, avant un intermède long – et pas absolument nécessaire – au synthétiseur pour lancer le doublé gagnant Rock City – Julie, sur lequel le trio va lâcher un peu les plus chevaux. Julie, deuxième single extrait du dernier album, très Velvet, est le véritable morceau de bravoure du concert : le groupe joue « à fond » le morceau, mais à fond façon Horsegirl, c’est-à-dire « à fond et sobre ». Très « en même temps ».
Ce qui marque aussi, chez le trio de Chicago, notamment en fin de concert, c’est la finesse des chants de Nora Cheng et de Penelope Lowenstein, souvent en chœur, parfois en canon, créant un jeu entre elles et avec le spectateur, et renforçant le caractère charmant (ou irrésistible, ou désuet, selon les points de vue) de l’affaire, notamment sur Sport Meets Sound, et ses « Da da da da » ultra répétitifs, rare morceau où la basse est bien présente, et sur le mi-tempo In Twos, aux paroles à la fois simples et énigmatiques, dans un certain état d’esprit post-grunge : “Your footprints on the street, they walk in twos / Ooh-ooh / Ooh-ooh / Every good thing that I find, I find I lose / And I try, and I try” (Tes empreintes dans la rue / Elles marchent par deux / (…) Chaque bonne chose que je trouve, je trouve que je la perds / Et j’essaye, et j’essaye).
Place ensuite au seul autre morceau de leur premier album, un Anti-Glory bien senti aux chants en canon et au refrain martelé « Dance dance dance dance ! », donnant une touche post-punk fort appréciable à la chanson et au set. Comme quoi, comme on se le disait en début de concert à l’écoute d’Option 8, peut-être qu’Horsegirl ferait bien de ne pas oublier ses débuts noisy et un peu plus « gras ». « Il ne reste plus que deux chansons », annonce le groupe, dans une rare interaction avec le public — dans ce domaine également, on sait que la capacité à créer un lien informel avec le public, à blaguer avec lui, à l’interpeller, à le toucher ou l’émouvoir autrement que par l’exécution des chansons, est directement liée à l’expérience. Un autre axe de progrès pour Horsegirl, et, quelque part, c’est rassurant, à 21 ans. Tous les indicateurs, sur enregistrement comme sur scène, semblent en effet indiquer que le moment de vérité traditionnel du 2ème album, sera plutôt celui du 3ème. Celui, en tout cas, de confirmer toutes ces belles promesses, ou de les faire passer au cimetière des espoirs déçus.
C’est sur ce sentiment que l’on quittera le Quai de la Gare, en écoutant I Can’t Stand to See You et 2468, qui ont clôturé ce set efficace, sans fioritures, sans passion excessive, et avec toujours son bouquet de promesses. Puisque c’est la période, en guise de conclusion au bulletin scolaire de fin d’année, on dira au final « Élève appliqué et impliqué, mais peut encore mieux faire ».
Texte : Jérôme Barbarossa
Photos : Laurence Buisson (merci à elle !)