La sortie en salles dans l’hexagone de leur vrai-faux biopic Segundo Premio est l’occasion de se pencher sur Los Planetas, groupe de Rock indépendant ibère en activité depuis les années 1990 cumulant succès critique et public à la maison. Et plus particulièrement sur La Leyenda del Espacio, 7ème album de 2007 lui offrant un second souffle artistique influencé par le Flamenco.

La sortie en salles en France du vrai-faux biopic de Los Planetas Segundo Premio (qui aurait dû être réalisé par Jonas Trueba avant son abandon du projet) est l’occasion d’accomplir une mission capitale : rappeler que le plus grand apport de l’Espagne au Rock Indépendant n’est pas le recyclage par Pulp de Los Amantes de Mecano pour son chef d’œuvre Common People. Ni même d’être le pays où There is a light that never goes out fut le tube qu’il méritait d’être (au travers de son adaptation par Mikel Erentxun).
Depuis plus de 30 ans, Los Planetas, originaire de Grenade, est un groupe de Rock indépendant au grand succès public et d’estime de l’autre côté des Pyrénées. Un groupe souvent décrit comme un crossover entre Joy Division et Mercury Rev. Un groupe qui arrêta volontairement de faire semblant de jouer de la guitare en plein morceau pour s’en prendre au principe du playback télévisé. Un groupe qui marqua immédiatement le paysage rock ibère avec son excellent EP Medusa de 1993 proche du versant le plus Pop de la Shoegaze. Un groupe qui sortit cet EP sur le label madrilène Elefant Records (qui abrita entre autres Aventuras de Kirlian, équivalent ibère du style C86 désormais aussi culte que son existence fut brève dans les années 1980). Un groupe dont la première apparition télévisée fit date, avec la raideur entre Velvet et Shoegazers du leader J, du guitariste Florent et de la bassiste (éphémère) May Oliver (tournant le dos au public !). Un groupe dont pour l‘anecdote le morceau Segundo Premio recycle fortement… Promesses d’Etienne Daho.
L’album qui les a fait quitter la contrefaçon médiocre de leurs modèles formant la majorité de leurs deux premiers disques (Una Semana en el motor de un autobús, de 1998) est 11ème de la liste des Plus grands albums espagnols du dernier demi-siècle du supplément culturel d’El Pais. Probablement parce que c’est un concept album raccord du désir de la jeunesse espagnole de son temps de ne vivre qu’au présent. L’album partage de fait avec Definitely Maybe une parfaite incarnation du Zeitgeist… mais aussi un wagon d’emprunts musicaux reconnus par le groupe avec le temps.
L’autre raison de cette place dans la liste est sans doute aussi d’avoir bétonné le statut de Grenade comme place forte du Rock indépendant ibère. Un statut prenant racine dans une explosion Punk du début des années 1980 liée à la fin de la dictature franquiste, avant que dans les années 1990 ne se développe un ensemble de bars et de salles de concerts consolidant une scène locale. Mais on a plutôt choisi de revenir sur La Leyenda del Espacio, le numéro 38 de la même liste. Un album d’ailleurs réédité cette année.
D’abord pour dire deux mots sur le classique auquel l’album rend hommage, par le titre et l’inspiration : La Leyenda del Tiempo de Camarón de la Isla. Un album qui choqua en 1979 les puristes du Flamenco en ajoutant dans ce dernier des influences Pop et Rock et l’électricité (la basse, plus précisément). Los Planetas entreprend le chemin inverse en voulant injecter dans sa musique l’influence du Flamenco. Pour un album composé majoritairement d’un retravail de musiques et de textes de succès du genre par le groupe.
En ouverture, la saveur andalouse du riff de El canto del bute se mêle parfaitement à un mur du son Shoegaze et un ton Velvet Underground. Pour un texte sentant l’épuisement et le désir de mort. Sur la ballade Si estaba loco por ti, la guitare sonne en même temps Flamenco et New Wave : le morceau donne l’impression de regarder la pluie depuis sa vitre un dimanche plein d’ennui… mais une vitre plus proche de Madrid un jour de de temps maussade que de Crawley.
Avec sa combinaison réussie d’arpèges et de roulements de batterie, Reunion en la cumbre bifurque vers une (Power) Pop plus légère. Le morceau cible les grandes entreprises, entre attaque directe et humour à la Dutronc. La Verdulera ressemble lui à bien des groupes indie années 1990 tentant de faire de la Pop psychédélique sixties sous influences orientalisantes (celle des Beatles de Revolver, plus précisément).
Au travers de sa guitare ligne claire, Ya no me asomo a la reja évoque les tentatives du Rock indie britannique des années 1980 de s’inscrire dans le sillage du versant le plus calme du Velvet. Avec l’arrivée à retardement d’une saturation façon Jesus and Mary Chain. La mélodie de Negras las intenciones donne ensuite l’impression d’un groupe de Shoegaze qui aurait tenté d’écrire un morceau hispanisant. Le mi-Grunge mi-Shoegaze Si me diste la espalda, le Power Pop Deseando una cosa et la Shoegaze Entre las flores del campo forment une série écoutable mais moins singulière.
Le solo d’ouverture Flamenco et les arpèges de La que vive en la carrera redressent la barre. Numéro un en Espagne pendant 4 semaines, le single Alegrias del incendio aurait pu figurer sur un album des Boo Radleys. Avec une partie instrumentale qui aurait pu être celle d’une ballade de The Bends, Sol y sombra flirte mélodiquement avec le monotone.
Porté par un texte dédié à un ami disparu (le DJ barcelonais Sideral), Le Tendra que haber un camino, morceau final, réussit à greffer sur la mélancolie du Velvet le chant classiquement Flamenco (et chargé de pathos) de Enrique Morente. Soit une autre figure modernisatrice du Flamenco, née à Grenade. Une présence portant l’ombre de son album Omega, œuvre controversée marquée par une collaboration avec le groupe Punk Lagartija Nick et des tentatives d’adaptation Flamenco de Leonard Cohen.
Avec Una Semana en el motor de un autobús, Los Planetas avait pondu le fameux troisième album qui transforme la destinée d’un groupe de Rock. La Leyenda del Espacio fut de son côté le 7ème album… du second souffle artistique.
Ordell Robbie